Le 30 novembre 1945 : le problème de la main-d’œuvre

Dans les archives de Paysan Breton

Ce problème, à l’heure actuelle, devient insoluble. Depuis la fin des hostilités tous les salariés agricoles s’en vont chercher fortune ailleurs. « Mon commis est parti au chemin de fer et je ne trouve ni à le remplacer, ni un seul journalier », répètent les gens les uns après les autres. Un de mes voisins a perdu à la fois son commis et sa bonne. Il y a de cela six mois.

Depuis, il cherche et ne trouve personne. « Vingt-cinq hectares entre ma femme et moi, m’a-t-il dit. Quand j’ai soigné mes bêtes et que ma femme, en plus de son travail de fermière, a pris soin des sept petits (l’aîné a onze ans), la journée est bien avancée. Tout le monde désire des matières grasses, de la bidoche, des patates, mais pour les faire venir, il n’y a plus que des contrôleurs. Des travailleurs, on n’en trouve plus ! »

Mais pourquoi partent-ils tous ? Ils ont peur du travail ? Que non ! La question n’est pas là. La preuve est que, très souvent, ils partent dans d’autres régions de France pour travailler en ferme.

Que leur manque-t-il donc ?
1) Un salaire suffisant,
2) Un travail mieux réglé,
3) Un logement convenable.

Il faut reconnaître que dans trop de nos régions les ouvriers agricoles sont traités en parents pauvres. Sans doute, ils ont suivi avant-guerre la situation de leurs employeurs. Ceux-ci, gagnant peu, payaient peu. Mais depuis la guerre il était possible de les payer convenablement, et cela n’a pas été fait partout. Je reconnais que dans certaines régions un ouvrier agricole, à l’heure actuelle, gagne honorablement sa vie. Je ne puis (hélas !) en dire autant de tous les cantons de nos départements ; il s’en trouve où un journalier ne gagne pas quotidiennement sa livre de beurre et où un commis n’atteint pas partout 1 000 francs par mois, plus la nourriture et le logement.

Je reproche aussi à certains patrons d’être incompréhensifs vis-à-vis de leur personnel. Combien en ai-je entendu déclarer devant leurs salariés : « C’est le personnel qui mange tout le bénéfice de la ferme. On travaille que pour payer le propriétaire et le commis. » Alors, ne voulant pas être à charge, le personnel s’en va.

Il y a aussi la question du règlement dans les heures de travail. Dans une ferme, on sait commencer le travail de bonne heure, mais on ne sait jamais quand arrêter. Et le commis, comme son patron d’ailleurs, marche comme une bête du matin au soir et ne s’arrête que pour manger et dormir. Encore le patron fait-il quelques petites tournées obligées dans le bourg ou à la foire de temps à autre, tandis que le salarié, lui, ne quitte son travail que la nuit et encore pas toute la nuit.
Y a-t-il quelque chose à faire à ce sujet ? Je le crois sincèrement. D’ailleurs, nous n’aurons pas à choisir. Il faudra réaliser quelque chose ou se passer de main-d’œuvre.

Reste la question du logement. La plupart du temps, le personnel loge, comme le reste de la famille, dans la pièce unique. Quelquefois, on lui aménage un coin dans l’écurie. Les poilus vous diront qu’ils n’ont pas toujours été aussi bien. Sans doute, mais, Dieu merci, la guerre ne dure pas toujours. Disons-nous bien qu’il faudra à l’avenir une pièce pour nos salariés, où ils se sentiront chez eux après le travail, où ils pourront lire, écrire, flâner si le cœur leur en dit, mais où ils auront l’impression d’avoir été « dételés » comme les chevaux qu’ils conduisent.

Utopie que tout cela ? Non, réalité ! J’aimerais savoir ce qu’en pensent d’une part les prisonniers rapatriés, et d’autre part nos jeunes Jacistes, jamais à court de suggestions, et demain, j’en suis sûr, réalisateurs conscients d’une vie plus sociale dans nos campagnes.

Pierre Malitourne


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