Le brome, une graminée à part entière

A ceux que le brome évoque une graminée de second choix à réserver aux sols pauvres et séchants, Florent Cotten démontre que, comme toute culture, c’est sa conduite qui fait sa richesse. Florent Cotten aime l’herbe. Comprendre qu’il aime sa culture, sa gestion ; et sa part de complexité qu’il essaie constamment de percer en observant ses prairies de son œil exercé. Quand il vous conduit à découvrir ses pâtures, il détecte tout de suite, ici quelques plantes bioindicatrices qui révèlent une oxydation du sol (géranium herbe à robert, céraiste aggloméré), là un excès d’azote (mouron blanc). Puis, tel un médecin avec son stéthoscope il pousse le diagnostic plus loin avec sa bêche. « L’outil indispensable pour voir ce qu’il se passe en dessous » dans le ventre de la prairie. Car, du bon développement du système racinaire et du fonctionnement du sol dépend la productivité de la culture. Pâturage hivernal ne veut pas nécessairement dire compactage Sur la ferme du Vern, le sol est de toute évidence en bonne santé comme le confirment, en cette mi-mars, la terre friable où s’enchevêtrent un tissu racinaire dense et quelques vers de terre surpris d’être ainsi mis au grand jour d’un seul coup de bêche. On pourrait s’attendre à un compactage dû au piétinement des génisses qui ont pâturé tout l’hiver ce bloc d’une vingtaine d’hectares. Sauf qu’au Vern, point de parcelle parking. « Elles sont déplacées tous les jours », explique l’éleveur, adepte du pâturage tournant dynamique, technique qu’il vulgarise, entre autres, au travers de la société de conseil PâtureSens. Seul témoin de cet hivernage au champ, des bandes de 2 m de large où l’éleveur a déroulé des bottes de foin en complément du pâturage pour recarboner des parcelles à faible taux d’argile. « Le sol est légèrement tassé en surface mais la structure n’est pas altérée en profondeur. Tout cela va se refaire rapidement », prédit Florent Cotten qui montre des plantules de ray-grass qui émergent déjà entre les brins de foin non consommés par les bovins qui nourrissent désormais la faune et flore sous-jacente. Et de faire observer, en prenant du recul, le vert plus prononcé et la biomasse plus développée de l’herbe de ces bandes de distribution de foin des années antérieures. Un effet évident de la minéralisation des résidus de fourrage non consommé estimé entre 10 % et 20 % des apports selon l’éleveur. Adapté à la fauche C’est dans ces parcelles réservées aux génisses et à la fauche que l’éleveur a semé du brome associé à la luzerne et 4 autres espèces (voir dose du mélange ci-dessous). « Cela fait 30 ans que l’on cultive de la luzerne sur la ferme », indique l’éleveur, précisant que cette légumineuse se plaît bien dans ce type de parcelle relativement séchante affichant un pH autour de 6 / 6,4. « Le plus important étant la part de calcium actif du sol et non juste le pH ». Et le brome s’y plaît également très bien si l’on se fie à son développement en ce tout début de printemps. Un coup de bêche révèle aussi un chevelu racinaire particulièrement dense et profond prêt à jouer son plein rôle dans quelques semaines. « Le brome répond bien dans les sols biens pourvus en matière organique, comme ici où le taux est de 6 % ». Riche en sucres et en fibres, particulièrement adapté à la fauche et au séchage, productif et appétent, le brome doit être partiellement mécanisé compte tenu de sa propension à taller haut et à faire des touffes, comme le dactyle. « Il faut donc faire une fauche par an au minimum », prévient Florent Cotten. Après quoi la plante rentre dans le rang et se met au même niveau que les autres graminées de la pâture. « En pleine saison, je vise un pâturage entre 30 et 40 jours, compatible avec la pousse de la luzerne, ces temps s’allongeant en début et fin de saison comme actuellement où elles reviennent dessus après près de 3 mois de repousse » « Une prairie n’est jamais foutue » Même si la longévité du brome est théoriquement de 3-4 ans, la pérennité de ce type de mélange est étroitement liée au système et au rythme d’exploitation de la prairie. « L’objectif est de garder une flore équilibrée », se fixe l’éleveur. Et à cet égard, l’été 2022 s’est révélé une épreuve pour les espèces les plus sensibles comme le témoigne, encore 6 mois plus tard, la flore d’une parcelle classée « en phase de rééducation pour 2023 ». « Un pâturage un poil trop ras mi-juillet et voilà un symptôme de ‘surpâturage’ qui survient. La plante ne protège plus assez le sol qui se dessèche fort avec l’été qui a suivi (le sol s’oxyde). On entre dans un cercle vicieux : malgré le bon niveau de matière organique qui tamponne l’oxydation, les plantes moins résistantes à la sécheresse s’étiolent et laissent des espaces vides ; des adventices profitent de la situation pour proliférer dans ces espaces mis à nu dès le retour des pluies : géranium, capselle, pâturin… », a observé Florent Cotten qui, pour autant, reste confiant dans la faculté de régénérescence de cette prairie en 2023. « Sur la ferme, nous avons des prairies d’une vingtaine d’années encore très productives – plus de 10 t MS –. Leur forte densité au pied leur confère une meilleure protection du sol en été et donc une meilleure faculté à continuer à durer avec une bonne gestion herbagère. En fait, sauf cas exceptionnel, une prairie n’est jamais foutue. Il reste important d’adapter le cycle de pâturage ou/et de fauche pour rétablir l’équilibre ». Sans oublier les possibles contributions de la fertilisation (fumier ou lisier de bovin), l’amendement calcaire (type Trez ou Gypse), l’apport d’extraits fermentés (algues, ortie, consoude), les acides organiques (humates). « Il ne faut pas pour autant se fermer les portes de repasser par une couvert végétal multi-espèces, soit en sursemis en prairie vivante, soit par un travail léger, pour relancer la dynamique de sol en cas de forte dégradation ». Un sol qui vit Pour préserver les prairies en été, l’éleveur allonge aussi le cycle de pâturage dès fin juin pour monter jusqu’à 60 jours (si besoin) pour diminuer la montée en température du sol et limiter l’oxydation. L’éleveur est en effet très sensible à cette notion d’oxydation. Pour la mesurer, il utilise l’indicateur redox qui évalue le potentiel d’oxydo-réduction en microvolt. L’eau et l’air sont les deux paramètres qui influencent ce redox du sol. En résumé, plus un sol est aéré, plus il contient d’oxygène et plus son redox est haut (supérieur à 500). À l’inverse un sol compacté ou inondé où l’air circule mal aura un redox bas (inférieur à 200 mV). Un sol en bonne santé est plutôt acide et réduit (redox entre 300 et 450 mV) Ce redox réduit, indicateur « d’un sol qui vit », participe par exemple à lever la dormance de graines de ray-grass qui vont combler les trous provoqués par une potentielle mauvaise exploitation de la prairie. Ray-grass qui se développera d’autant mieux que le cycle de l’azote est favorisé par « un sol peu perturbé qui tourne bien notamment grâce à une bonne activité fongique qui s’inscrit dans le temps long de la vie d’un sol ». L’interaction de tous ces facteurs contribuent, à leur échelle respective, à la régénérescence d’une flore prairiale équilibrée, maintenue par la suite par une exploitation adéquate. C’est-à-dire une exploitation qui proscrit entre autres le surpâturage de l’espace inter-bouse très prisé par les bovins … et où les adventices s’installent. Encore une fois, dans la prairie, tout est question d’équilibre. Dose de semis • Brome cathartique : 15-20 kg • Fléole : 1-2 kg • Fétuque élevée : 5-6 kg • RGA diploïde : 6-7 kg • Luzerne flamande et méditerranéenne : 6-8 kg • Trèfle blanc intermédiaire : 2 kg • Plantain lancéolé : 0,5 kg

Le brome, une graminée à part entière

EARL du Vern, à Saint-Yvi (29)

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