innovation-vegetale - Illustration « Renoncer à l’innovation-miracle »

« Renoncer à l’innovation-miracle »

Intrants plus surveillés, attentes sociétales croissantes… Les innovations végétales seront demain moins spectaculaires que par le passé. La recherche travaille notamment sur la déspécialisation, les associations, la gestion des résistances.

Alors que la spécialisation semble vouloir gagner du terrain, en particulier dans l’Ouest de la France avec le boom laitier attendu, Bernard Chevassus-au-Louis*, Inspecteur général de l’agriculture, émet l’avis que les systèmes agricoles du futur ne pourront se passer de déspécialisation. « La diversification, les complémentarités, vont s’imposer, sans doute pas à l’échelle d’une exploitation ou alors de grande taille, mais sur des territoires plus larges. » On peut être sceptiques, mais le scientifique a étayé sa théorie avec des arguments solides, lors d’une conférence et de visites organisées par l’UMR Igepp**, le 3 juin au Rheu (35).

Premier constat, que personne ne pourra contredire, les contraintes économiques, sociales et environnementales vont aller grandissantes sur les intrants : l’énergie, les engrais, l’eau, les produits phytos… « Les stratégies d’économies d’échelle seront moins intéressantes, l’économie de gamme le sera davantage. » Par ailleurs, les consommateurs sont peu attirés par des produits agroalimentaires à « l’innovation visible. » Ils attendent plutôt une stabilité, des produits de confiance (santé, écologie…).

Des agriculteurs toujours plus qualifiés

Ce sont donc « des agricultures plus économes, plus flexibles par rapport aux aléas, plus résilientes face aux perturbations, plus solidaires, et donc moins monotones » qui, selon B. Chevassus-au-Louis, vont se développer. Elles demanderont davantage de qualification de la part des agriculteurs. « Il va sans doute y avoir un peu de substitution d’intrants par davantage de travail, dont le coût se détend légèrement actuellement. »

Dans ce contexte, quels projets de recherches pourront offrir des innovations à ces agricultures de demain ? Première voie, les scientifiques vont se concentrer sur « une génétique d’association, de symbiose, où des effets de coopération vont être recherchés. » Par exemple, des mélanges variétaux optimisés permettent de lutter contre la verse, des associations pommes de terre-maïs, blé-légumineuses peuvent être favorables aux deux parties… Le développement d’une plante dépend par ailleurs de son cortège de microorganismes sur les racines. « Nous n’en sommes qu’au début dans la génétique des interactions. »

Le pilotage des phénotypes (les caractères observables d’un individu) est une deuxième grande orientation. Le scientifique donne l’exemple du brocoli et de la mouche du chou. « Un schéma classique visera la destruction des mouches. Alors que le brocoli peut envoyer des signaux répulsifs, ou attractifs sur les carabes, prédateurs des larves de la mouche. Nous pouvons regarder, mimer, amplifier les signaux des plantes… Intercaler des espèces pièges ou répulsives… »

Rallonger la durée de vie des innovations

Aux yeux de B. Chevassus-au-Louis, il faudra sans doute demain « renoncer à l’innovation-miracle » et combiner des solutions imparfaites (génétique, stimulation des défenses, auxiliaires, aménagements…). Mais aussi rallonger la durée de vie des innovations, notamment pour réduire les problèmes de résistances. Créée il y a 2,5 ans, l’UMR Igepp, le plus gros collectif de recherche sur le végétal en Bretagne, travaille déjà sur ces thématiques. « Nous recherchons par exemple les résistances du colza vis-à-vis du Phoma, notamment celles qui font intervenir un grand nombre de gènes à effet partiel. Ce type de résistance quantitative est plus durable », illustre Régine Delourme de l’Inra du Rheu.

Dans le centre de ressources Bracysol, sont collectionnées de nombreuses variétés de choux, alliums, artichauts, cardons, pommes de terre… Elles peuvent servir à conserver des gènes de résistance, certains critères de qualité… Associant des technologies de phénotypage et de génotypage haut débit, le projet Rapsodyn vise la création de variétés de colza utilisant mieux l’azote, tout en augmentant le rendement en huile.

Modélisation virtuelle

Dans cette recherche du futur, la modélisation virtuelle jouera un rôle croissant. On arrive aujourd’hui à obtenir des représentations fidèles des sols, des paysages… Mais les modèles de prédiction biologiques, par exemple le développement d’un pathogène sur une culture, ne sont pas encore assez fiables. « La balle est plus dans le camp des biologistes que des informaticiens », pense B. Chevassus-au-Louis. Agnès Cussonneau

L’avis de Denis Tagu, Directeur de l’UMR Igepp

L’UMR Igepp regroupe 260 personnes, dont 71 chercheurs et enseignants-chercheurs. L’objectif est de produire des connaissances sur les plantes, les pathogènes et leurs ennemis naturels pour développer des méthodes de protection des cultures plus économes en intrants. 5 équipes travaillent sur plus de 70 projets en cours, concernant des plantes d’intérêt agronomique (colza, pois, pomme de terre, blé, légumes…). Ils portent sur la biodiversité des plantes, leur résistance aux maladies et la biologie de leurs auxiliaires et ravageurs – la hernie des crucifères, le puceron du pois par exemple. Nous travaillons sur la durabilité des résistances, sur une sélection adaptée aux bas niveaux d’intrants…

* B. Chevassus-au-Louis est aussi membre du CGAAER (Conseil général de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Espace rural) après avoir été chargé puis directeur de recherches à l’Inra.

** L’unité mixte de recherche (UMR) Igepp (Institut de génétique, environnement et protection des plantes) regroupe science du végétal et écologie. Elle est basée sur plusieurs sites, dont le Rheu (35) et Ploudaniel (29).


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