guillaume-roue-inaporc-crise-porc-viande - Illustration Lettre ouverte de Guillaume Roué, Inaporc, suite au discours d’E. Macron à Rungis.

Lettre ouverte de Guillaume Roué, Inaporc, suite au discours d’E. Macron à Rungis.

“Ces réflexions je les ai écrites lors de mon déplacement en Chine où je participe et j’interviens à un colloque de la China Meat Association. Donc peut-être pas tout à fait dans le ton du discours du Président de la République que j’ai lu attentivement.

Cela m’inspire un certain nombre de commentaires sur le fond et sur la forme.

Sur le fond d’abord

Les débats à caractère sociétal qui ont eu lieu depuis 2 ans ont effectivement changé les paradigmes d’approche de l’agriculture et de l’alimentation de la part des politiques, des médias et d’une grande frange de la population, ce qui induit je crois l’économie générale du discours du Président de la République.

Ce qui me semble incroyable c’est que la nécessaire montée en gamme affirmée ne soit pas accompagnée d’un objectif d’indépendance quantitative et de conquête des marchés exports. Ça me met mal à l’aise…

Il n’y a pas que des consommateurs riches qui peuvent payer cher une alimentation exclusivement approchée sous l’angle qualitatif upgradé. Les consommateurs pas très riches ont aussi besoin de produits alimentaires qui proviennent d’une agriculture compétitive ou sinon on laisse ce marché à nos compétiteurs étrangers européens ou mondiaux. Ce n’est sans doute pas politiquement correct ce que je dis mais c’est la réalité.

À ce stade nos marchés exports nécessaires pour les équilibres de marché et qui servent aussi de soupape de dégagement, n’en déplaise à certains, sont nécessaires si on ne veut pas être isolé dans le monde. J’ai même la prétention de penser que c’est grâce à cela que l’on ouvrira la porte de l’exportation à des produits plus qualitatifs.

En second lieu, le secret de cette mutation appelée de ses vœux par le Président de la République passe, tout de même, par la possibilité de faire évoluer le droit de la concurrence européen. Et ce n’est pas quelques affirmations qui feront bouger Bruxelles.

Il va falloir aller au combat. Je ne sens pas cette volonté.

On finira peut-être par nous dire que c’est parce que nos « plans de Filières » ne sont pas assez ambitieux que l’on pourrait échouer.

En troisième lieu, puisque les interprofessions ont été mises au cœur du dispositif, il faudra permettre sans doute de lever les pouvoirs de blocage statutaires avec la règle de l’unanimité qui est le fondement même de notre fonctionnement d’aujourd’hui, sinon nous n’aurons que des accords à minima.

En quatrième lieu, le discours dit clairement que ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas suivre devront sortir du jeu. Je demande à voir combien de temps cette affirmation va durer, cela relèvera sans doute le niveau moyen global de compétitivité mais je ne suis pas sûr que le gouvernement le répétera très longtemps.

Dans ce cas, on va avoir une sacrée pression sur le dos car entraîner tout le monde dans un projet aussi ambitieux relève de la gageure ou d’une idéologie assez éloignée du pays réel. Mais il faut être ambitieux dans la vie c’est mieux que d’être suiveur.

Pour finir, je conteste très fermement le vocable « choix absurdes » employé par le Président de la République. Il y a eu des choix certes qui ont tout de même fait progresser, évoluer et permis à la France de rester un très grand pays agricole, reconnu dans le monde entier pour la qualité de ses produits tout cela bien loin de la caricature que certains peuvent en faire. A noter que pour le porc, le développement s’est fait sans soutien financier public majeur, la politique porcine à Bruxelles n’a jamais été budgétivore. Rappelons qu’il y a de nombreuses années que les mécanismes de soutien de marché comme les restitutions n’ont pas été déclenchés.

Je suis fier du parcours réalisé ce qui ne m’empêche pas d’ouvrir les yeux pour accompagner l’évolution nécessaire de nos filières.

Sur la forme

Le ton volontaire me plait bien même si les exemples illustrant le propos sont souvent caricaturaux, en tous les cas pour le porc nous avons été très « pushing » pour adapter la qualité de nos produits à la demande des consommateurs. Il faut se rappeler qu’il y a moins de cinq ans seules les recommandations diététiques avec moins de gras étaient au cœur des débats.

Qui mieux que les éleveurs de porcs ont relevé le défi de l’environnement et de la qualité de l’eau ? Nous sommes aussi les champions de la baisse de la consommation des antibiotiques et en parfaite adéquation avec les règles du bien-être animal tout cela à nos frais exclusifs, bien entendu, avec un impact considérable sur nos coûts de production. Quelle est la filière qui a eu le plus à subir les promotions hyper agressives pendant les 20 dernières années tout cela au bénéfice des consommateurs ? La nôtre.

Nous sommes encore là et fiers de l’être et surtout prêt à relever les défis du futur tout cela en entraînant l’ensemble des acteurs de notre filière.

L’acceptabilité sociétale de nos pratiques est primordiale, nous avons bien compris les messages véhiculés depuis de longs mois souvent avec le couteau sous la gorge ce qui n’est pas acceptable.

Les éleveurs savent, et les abattoirs aussi, que le respect des animaux est primordial. C’est une condition sine qua none à la confiance qu’il faut maintenir avec les citoyens et les consommateurs.

Respect et confiance doivent être la feuille de route qui doit guider notre action.

Reconnaissance et consommer français devraient être la première réponse du consommateur.

En ajoutant aussi le respect de tous sur les modes alimentaires de chacun ce qui est le contraire de la ségrégation souvent constatée aujourd’hui en matière de consommation.

Je soumettrai ce débat à Inaporc conformément à la demande du Président de la République. Je suis favorable à l’élaboration d’un plan de filière qui aille au-delà de l’existant mais cela ne sera possible que si les promesses du discours de Rungis sont tenues c’est à dire un encadrement réglementaire stable, favorisant la souplesse dans les initiatives et suffisamment protecteur pour ne pas se faire envahir.

Moi aussi, comme le Président de la République, je suis un partisan du libre-échange car le repli sur soi est suicidaire mais il faut pouvoir commercer à armes égales.

Il ne faut pas oublier que sur les 10 dernières années, alors que la production porcine française enregistrait un repli de 3 % nos concurrents espagnols développaient leur production de 27 % et les allemands de 18 % !

Nous ferons des propositions sans nous laisser montrer du doigt de manière injustifiée. Nous travaillerons à mettre sur pied des relations constructives entre les différents maillons de la filière en commençant par remettre autour de la table les transformateurs qui n’auraient jamais dû quitter le cercle interprofessionnel.

Oui bien sûr notre devoir est d’accompagner les mutations de notre société et de répondre aux aspirations de la population en matière sociétale, ainsi que de répondre aux désirs des consommateurs en matière de qualité des produits que ce soit sur la filière biologique ou d’autres démarches de qualité sur lesquelles l’interprofession porcine s’est déjà engagée. Mais il faut aussi être capable de fournir en quantité des produits accessibles aux consommateurs au regard de leurs moyens financiers.

Le discours actuel véhiculé par les activistes de tout genre du « y’a qu’à faut qu’on », fait des dégâts en matière de consommation. Ne nous trompons pas de débat le rôle de l’agriculture et de ses filières restera toujours de nourrir le consommateur à un prix et une qualité raisonnables.

Alors oui, relevons ce défi Monsieur le Président de la République !”

Guillaume Roué, Président d’INAPORC


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