Dossier technique

Une auge à rallonge sous un bâtiment parasol

Gaec de Blys, Acigné (35) - En système ultra-pâturant, Simon et Clément Letort parient sur une étable sans bardage abritant une salle de traite performante, un couloir d’alimentation sur caillebotis et une litière d’appoint.

Trois éleveurs devant des vaches de race Holstein alignées à l'auge - Illustration Une auge à rallonge sous un bâtiment parasol
Damien Barbedette, salarié, Simon et Clément Letort devant la table d'alimentation (côté est). | © Paysan Breton - T. Dagorn

Simon et Clément Letort ont repris ensemble l’exploitation familiale (lait et pain bio) au 1er octobre 2023. Sur un peu plus de 100 ha dont 5 ha en maïs et 30 ha en cultures de vente, leurs parents conduisaient 60 vaches à 6 000 L de lait pour livrer environ 300 000 L par campagne. Les deux frères ont vite fait leur calcul : « Pour conforter les emplois d’un salarié sur la production de pain et d’un autre sur l’élevage, il fallait produire plus de lait. »

Produire plus de lait pour conforter les emplois salariés

Saturer la plateforme herbagère

Inspirés par leurs passages sur des fermes au Canada et en Australie puis motivés par des rencontres d’éleveurs et des formations auprès du cabinet PâtureSens sur la gestion des prairies, les Bretons ont dessiné les contours de leur projet : « Limiter les cultures à 15 ha de céréales et valoriser au maximum l’herbe en saturant la plateforme de 60 ha accessibles pour que le pâturage représente 70 % de la ration sur l’année. » Aujourd’hui, ils traient 85 vaches. Objectif : 120 vaches d’ici deux ans (en intégrant des animaux kiwis achetés à l’extérieur) afin de livrer 450 000 L par campagne. Soit ce qu’ils considèrent comme la « limite humaine » en production laitière : 40 vaches et 150 000 L par personne qui travaille. « Nous nous retrouvons dans ce système économe très pâturant intéressant à la fois en temps de travail et économiquement », confient les jeunes éleveurs qui ont grandi à deux pas de Rennes et se définissent comme des « paysans de ville » aspirant à la même qualité de vie que leurs amis citadins dans d’autres secteurs d’activité.

Faire manger 120 vaches côte à côte

« Dans notre approche visant les 330 jours de pâturage par an, les besoins en bâtiment sont faibles et seule la salle de traite rapporte », sourient les deux frères. « En fait, notre véritable priorité était de disposer d’une table d’alimentation de 70 m de long pour pouvoir complémenter 120 vaches ensemble dès qu’il n’y a plus assez d’herbe disponible. » Pour autant, ils n’ont pas négligé l’enjeu et ont visité huit fermes pour nourrir un an et demi de réflexion afin de trouver les bonnes réponses à leurs attentes. Si leur première idée était de rénover l’existant, « la tête des artisans venus visiter » leur a vite fait changer d’avis. « La rénovation coûte parfois presque aussi cher que la construction. Pour faire de véritables économies, il faut réaliser le maximum de travaux soi-même. Mais souvent, le manque d’attention pendant ce temps autour du troupeau et des cultures dégrade les résultats technico-économiques. Ce que l’on gagne d’un côté, on le perd peut-être de l’autre… » Finalement, pour leur première année dans le costume d’éleveurs, les deux frères ont préféré se concentrer sur la production laitière en misant sur la construction entièrement déléguée d’un bâtiment neuf. Après un an de travaux, ce dernier a été mis en service en avril 2025.

Un bâtiment réfléchi pour travailler seul

« Nous avons voulu une conception hyper-simple pour que l’étable soit évolutive. Ouverte aux quatre vents, c’est juste une toiture, sans translucides pour éviter les points chauds, au-dessus d’une aire d’alimentation, d’une litière, d’une salle de traite 2 x 6 postes (pour pouvoir traire n’importe quel nombre de vaches) et d’un espace bureau – salle de pause – vestiaire. » Le toit d’usine constitué de deux grandes écailles laisse une large ouverture à l’est. « Cela permet aux rayons du soleil d’entrer toute la matinée pour éclairer la salle de traite et faire sécher l’aire d’exercice et la litière. » À l’ouest, un débord de toit abrite un chemin bétonné d’accès des vaches vers la traite, évitant par là même que les pluies atteignent la zone de couchage. Au sud, les éleveurs ont investi 15 000 € dans une rampe en béton en sortie d’étable, estimant que « c’est davantage la portance des chemins que celle des prairies qui limite le pâturage ».

Vue d'une salle de traite en simple équipement
Les associés ont choisi une « grande salle de traite en siple-équipement pour traire efficacement ».

La construction d’une fosse à lisier couverte avec racleurs pour l’alimenter était prévue à proximité de l’étable, mais Simon et Clément Letort ont changé d’option. « En plus d’un problème de contre-pente sur notre terrain, nous avons observé une zone de caillebotis chez un éleveur. Nous avons finalement parié sur un couloir d’exercice sur caillebotis au-dessus d’une fosse dimensionnée pour 350 m3. » Cette solution ne demande « quasiment aucun travail d’entretien » alors que les vaches ne sont la plupart du temps que de passage dans le bâtiment aux heures de traite. Parallèlement, un filtre à roseaux a été monté pour le traitement des eaux blanches et vertes.

Des vaches alignées à l'auge dans une téable très ouverte
Entre l’auge et la litière, la zone sur caillebotis sert avant tout de passage entre la prairie et la salle de traite.

Les besoins en litière d’un demi-effectif

La table d’alimentation de 70 m court sur toute la longueur de l’enceinte : quatre travées sur onze sont équipées de cornadis (pouvant servir à la contention et formant un mur de côté du parc d’attente), les autres ne présentent qu’une simple barre au garrot.

Lors d’une visite, le couchage sur lit de miscanthus a aussi tapé dans l’œil des éleveurs. « Le propriétaire trouvait ses vaches encore plus propres qu’en logettes auparavant. » Simon Letort s’avoue ravi : « Concernant le miscanthus, je ne m’attendais pas à cela : cette solution ultra-économe en temps de travail est un vrai bonheur. Nous avons seulement fait deux brassages pour la forme cet été. Nous allons maintenant traverser notre premier hiver… » Pour un total de 2 500 € par an (110 €/t sortie goulotte), le Gaec s’approvisionne en copeaux auprès d’un voisin.

Un éleveur devant une litière pour vaches laitières dans une étable très ouverte
Simon Letort est ravi du choix du miscanthus en litière qui réclame peu de travail.

Dans la pratique, les vaches passent en réalité peu de temps sur cette litière dimensionnée pour 80 têtes. « On les ramasse l’hiver quand la météo est vraiment mauvaise, ainsi que les après-midis de forte chaleur l’été car le bâtiment, immense surface ombragée, est alors le point le plus frais de l’exploitation. » La litière de 540 m2 demande d’autant peu d’entretien que c’est un demi-effectif de 45 vaches en production aujourd’hui qui est à loger en hiver et en été puisque les vêlages – et donc les tarissements – sont organisés sur deux périodes de deux mois stricts (au printemps et à l’automne) pour coller à la pousse de l’herbe.

40 heures de travail par semaine

À l’arrivée, l’outil permet d’optimiser le temps et le confort de travail pour une personne intervenant seule, apprécient Simon et Clément Letort « En effet, nous sommes trois temps pleins sur l’élevage, mais nous travaillons le plus souvent seul. Notre bâtiment a clairement été réfléchi et dessiné en ce sens afin d’atteindre notre objectif : des semaines de 40 heures, deux week-ends libres sur trois et cinq semaines de congés par an. »

Avec 85 vaches à la traite pour le moment (120 demain), les deux frères livrent déjà davantage de lait que leurs parents. « Comme nos charges opérationnelles sont très faibles et que nous n’avons pas acheté de foncier, le produit de cette production doit répondre à deux postes principaux de charge : payer le bâtiment et payer nos salaires. »

Toma Dagorn

Une cage de parage dans un bâtment d'élevage de vaches laitières
La cage de parage a été installée à proximité de la sortie de traite et du box infirmerie.

Le bon plan d’un conseiller indépendant

Au total, le bâtiment a coûté 600 000 € (65 000 € d’aides Agri-Invest reçues) : 250 000 € pour la partie maçonnerie – fosse – caillebotis, 150 000 € pour la partie charpente – bardage, 120 000 € pour la partie salle de traite neuve – électricité – plomberie… « Pour plus de fluidité, tous les travaux ont été confiés à l’entreprise CDEA, du terrassement à la pose des portes et panneaux sandwichs. » Avant cela, Simon et Clément Letort avaient fait appel à Dominique Travers (Société Étudagri), concepteur indépendant de bâtiments agricoles. « Il nous a guidés sur la partie réglementaire concernant le stockage des déjections, a poussé notre réflexion sur la circulation des animaux et surtout il nous a fourni un vrai plan pour aller discuter avec tous les corps de métier ensuite. »

Une double-installation dans un fauteuil

« Nous nous sommes installés dans des conditions exceptionnelles : en reprenant le Gaec entièrement amorti de nos parents. Cela nous a beaucoup aidés financièrement », expliquent Simon et Clément Letort. « Comme ils étaient locataires de l’ensemble, ils nous ont fait des cessions de baux et nous n’avons pas eu à racheter de foncier, de bâtiment ou de maison… Mais seulement à financer le cheptel, les stocks et un peu de matériel. » Mieux, les deux jeunes hommes ont obtenu les capitaux sans passer par la case banque grâce à un prêt familial à taux zéro de la part de leurs parents qui leur accordent « beaucoup de flexibilité sur les remboursements ». Dans cette situation, ils ont pu ensuite « tirer au maximum » sur les possibilités d’emprunt bancaire pour financer leur bâtiment. « Nous avons emprunté sur douze ans avec un report d’un an. » Pour les deux frères, ne pas posséder de foncier facilite l’installation et donne de la souplesse pour investir dans ce qui est utile au quotidien.


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