Alain Letissier s’est installé en 2003 en reprenant la petite ferme familiale en système herbager. « Démarrant sur 40 ha, j’ai d’abord intensifié en diminuant l’herbe au profit du maïs tout en cultivant 5 ha de céréales. » Objectif à l’époque : livrer 150 000 L de lait par campagne. Mais les céréales ne fonctionnaient pas bien sur certains sols plus humides, « des terres plutôt fourragères ». Alors, après avoir récupéré 15 ha en 2009, le Costarmoricain a fait le chemin inverse. « J’ai signé un premier contrat de Mesures agri-environnementales pour cinq ans et commencé à redonner davantage de place à l’herbe. » Par la suite, il s’est engagé à nouveau dans une MAEC SPE 28-55 (maximum 28 % de maïs dans la SFP et au moins 55 % d’herbe dans la SAU). Aujourd’hui, sa ferme est en 3e année d’engagement d’un autre contrat SPE 18–65 (maximum 18 % de maïs dans la SFP, plus de 65 % d’herbe dans la SAU). Ces accompagnements ont sécurisé la transition herbagère.
29 ha d’accessible en pâturage
Actuellement, sur les 72 ha de SAU, 50 ha sont en prairie, 11 ha en maïs, 1 ha en betteraves et 10 ha en céréales vendues. « Tout l’accessible aux vaches en production est conduit en herbe, soit 29 ha. » Divisé en paddocks jour et nuit calibrés pour une semaine avec fil avant. « J’essaie de faire vieillir ces prairies. Je n’ai rien retourné depuis trois ans pour éviter les traitements autour du hameau et ne pas perdre une miette d’accessible au pâturage. » Il y a deux qualités d’herbe sur cet îlot autour du siège. « Sur les sols portants au pied de la stabulation, ray-grass anglais et trèfle blanc tiennent bien. Cela fournit un fourrage riche et appétent. » Même l’hiver – « qui a tendance à être plus doux » – le troupeau les fréquente en après-midi. « Après la mauvaise saison, les parcelles ne sont pas très jolies. Mais avec l’épandage d’un peu de lisier de porc du voisin, elles redémarrent bien », explique l’éleveur.
Tout l’accessible est conduit en herbe
Un peu plus loin, sur les zones plus humides où se trouvent les paddocks de jour, cette association classique graminée – légumineuse a plus de difficulté à durer. « La flore a tendance à se diversifier au fil du temps. L’herbe est moins laitière. » L’alternance jour – nuit entre les deux types de paddocks assure « un régime équilibré sur 24 heures », estime l’éleveur. Autre avantage de garder les vaches la nuit sur les meilleures parcelles proches du bâtiment : « En cas de coup de tabac, elles peuvent vite rentrer à l’abri et elles sont à proximité pour la traite du matin. » Pour autant, avec le temps, certaines prairies sont moins productives, note Alain Letissier. « Je réfléchis à en casser ce printemps pour y exploiter de la vesce ou du colza l’été avant de les resemer en herbe en septembre. L’idée est tentante, mais cela ne fonctionne pas toujours… »

Demain, monotraite et tout herbe ?
Sur le foncier plus éloigné, 10 ha sont consacrés à la fauche. Quatre ou cinq coupes par an principalement récoltées en enrubannage. L’approche évolue peu à peu : « Je teste des espèces qui résistent naturellement mieux à des conditions plus sèches. En plus du ray-grass – trèfle, j’introduis parfois un peu de dactyle, de la luzerne en bord de Rance sur les parcelles au pH plus favorable. » L’éleveur essaie de conserver en prairie les surfaces proches de la rivière. Les autres sont retournées au bout de 7 ou 8 ans pour accueillir un maïs puis un blé avant de revenir en prairie de fauche. Le système est en rythme de croisière. Sur la dernière campagne, 286 000 L de lait ont été livrés. « Sur l’année, les 48 vaches à la traite en moyenne donnent 16 à 22 kg de lait par jour dans mon approche économe », précise Alain Letissier qui est aidé d’un salarié à mi-temps. Sur 2023-2024, le coût alimentaire était de 75 €/1 000 L vendus (dont 30 € pour les concentrés) pour une marge brute lait de 393 000 €. « Pour réduire encore les coûts, le système tout herbe m’attire. Mais il faut tout calculer, car faire beaucoup de fauches sur prairie aurait aussi un coût », note le Costamoricain de 43 ans toujours en réflexion. Alors que ses prêts bâtiment se terminent en 2026, il se verrait peut-être adopter « la monotraite à 50 ans ».
Toma Dagorn
Un an d’avance en stock de maïs
Face aux « mauvaises années », Alain Letissier estime que les éleveurs pourraient être amenés à faire un peu plus de stock. « Il y a trois ans, une bonne récolte m’a permis d’avoir désormais un an d’avance en ensilage de maïs. Les comptables n’aiment pas cela, mais c’est un gage de sérénité », sourit-il. D’autant que la place ne manque pas : « J’ai cultivé jusqu’à 21 ha de maïs que je stockais dans deux silos couloirs. Les 11 ha aujourd’hui rentrent dans un seul. » La distribution du maïs 2023 se termine doucement ce printemps en tamponnant avec un apport d’enrubanné. La cuvée 2024 sera ouverte a priori début août, après la saison d’herbe. « Si le pâturage se prolonge, je temporise. Le travail est simplifié sans front d’attaque à gérer. Mais si l’été est difficile – sec comme très pluvieux – pour les prairies ou les cultures, je dispose à tout moment de cette sécurité… » Alain Letissier termine : « Avoir ce maïs d’avance permet aussi d’avoir moins peur d’en implanter moins l’année suivante pour continuer à faire évoluer mon système herbager. »
Porte ouverte sur l’adaptation au changement climatique
Le paysage de l’exploitation est bocager. « Partout, j’essaie de maintenir les haies. En 2011, j’en ai replanté 1 km linéaire. » Elles apportent de l’ombre aux animaux lors des coups de chaud et cassent les vents froids du nord-est. « Pendant les passages caniculaires de 2022, quand certains rentraient leurs vaches pour les préserver, je sortais les miennes sur les paddocks ayant les plus belles haies. » Lors de la ferme ouverte, le label Haie sera présenté par la Scic ENR Bois & Énergie Pays de Rance, partenaire d’Alain Letissier. Un atelier sera consacré au projet Fermadapt de l’Idèle (adaptation au changement climatique) auquel l’éleveur a participé au sein d’un groupe animé par le Cédapa. Le jeudi 22 mai, dès 13 h 30, au 4 la Fortituais à Plouër-sur-Rance. Contact : 07 64 44 45 35