18400.hr - Illustration Riz : la bombe à retardement
Les stocks de riz sont essentiellement détenus par la Chine et l’Inde (80 %), et c’est là que le bât blesse. Crédit photo : didiksaputra - stock.adobe.com

Riz : la bombe à retardement

Et si surveiller le marché du riz nous donnait une clé de lecture pour la deuxième partie de campagne du blé ?

À Chicago, les prix du blé (SRW) se sont envolés en 2022 pour revenir aujourd’hui au niveau de 2020, alors que le riz est sur une pente ascendante qui ne se dément pas depuis 2021. Après avoir touché les 213 €/t sur le marché à terme parisien fin novembre, le prix du blé rebondit à 225 €/t et les vendeurs espèrent une remontée au-delà des coûts de production de la récolte 2023 estimés aux environ de 250 €/t. Le riz pourrait-il lui venir en aide  ?

Un marché plus étroit

Le riz est un marché plus étroit que celui du blé. Mondialement, il s’en produit 521 Mt et s’en exporte 50 Mt (9,5 %) contre respectivement 784 Mt et 197 Mt (25 %) pour le blé tendre en 2023/2024(1). Et si 2 exportateurs (Russie et UE) représentent 40 % des volumes pour le blé, il en faut un seul, l’Inde, pour atteindre la même part de marché en riz. Autant dire que tous les pays dont la consommation est liée aux importations sont à la merci de tout incident climatique ou politique dans ce pays.

Aliment de base de 4 Md de personnes

Le riz (produit à 90 % en Asie) est l’aliment de base de 4 milliards de personnes et son prix atteint le niveau le plus élevé depuis quinze ans, selon la FAO. Dans le dernier rapport de l’USDA, les stocks mondiaux ont reculé de 16 Mt (9 %) en deux saisons. Ils sont essentiellement détenus par la Chine et l’Inde (80 %), et c’est là que le bât blesse.

Échéance électorale majeure à venir

Le dérèglement climatique et le phénomène El Niño ont fait craindre une baisse de sa production au gouvernement indien à quelques mois d’une échéance électorale majeure. Et ce, dans un contexte où les prix du riz sur le marché intérieur avaient déjà augmenté de plus de 30 % depuis octobre 2022. Le 20 juillet 2023, New Delhi a ainsi interdit l’exportation de riz indica (environ le quart de ses exportations habituelles), afin de conserver suffisamment de ce produit pour la consommation de ses habitants et pour limiter l’inflation sur le marché intérieur. Cette mesure vient s’ajouter à l’interdiction des exportations de brisures de riz décrétée l’année dernière et à l’imposition d’une taxe de 20 % sur les exportations de riz étuvé.

Résultat, les objectifs indiens à l’exportation ont baissé de 4 à 5 Mt entre 2022/2023 et 2023/2024 selon les sources, soit 10 % du marché. Et les deux autres gros exportateurs (16 % chacun) que sont le Vietnam et la Thaïlande ne sont pas capables de combler ce recul.

Or, comme on l’a vu, les Indiens assurent 40 % du commerce mondial du riz et vendent à plus de 140 pays notamment en Afrique (Sénégal, Nigeria, Côte d’Ivoire, Bénin, etc.) ainsi qu’en Asie (Bangladesh, Pakistan, Philippines) et au Moyen-Orient (Turquie, Syrie). Selon l’Ifpri(2), 42 pays importent au moins 50 % de leur riz d’Inde et 10 pays en sont dépendants à 90 %.  

Impact sur les prix

Pour l’instant, la consommation mondiale de riz est attendue cette saison en hausse de 5 Mt par l’USDA mais en recul de 1 Mt par l’IGC, alors que côté prix, les répercussions sont déjà énormes pour l’ensemble des pays producteurs et consommateurs. À Lagos, capitale économique du Nigeria, le riz frit est un des plats les plus prisés. Mais, là-bas, un kilo importé coûtait 46 % plus cher en août dernier qu’en août 2022 et toujours plus aujourd’hui.

Entre dérèglement climatique, croissance démographique, et tentations protectionnistes, tous les signaux sont au rouge pour la céréale. Certains prédisent une crise alimentaire équivalente à celle de 2008, lorsque le riz avait atteint 900 $/t en Thaïlande (600 $/t aujourd’hui, son niveau le plus élevé depuis 15 ans). Courrier International titrait récemment « Riz, la crise qui vient ».  

Patricia Le Cadre / www.cereopa.fr

(1) Selon le Conseil international des céréales (IGC)

(2) International food policy research institute

Report sur le blé

Entre intempéries en Asie du Sud-Est, coûts de production en forte hausse (engrais), dévaluation des monnaies qui augmente le coût des importations chez de nombreux clients, et inflation galopante un peu partout dans le monde, il reste à voir si les acheteurs seront en mesure de faire face à de nouvelles hausses de prix. Il y a fort à parier que la consommation mondiale de riz soit actuellement surestimée dans les bilans, et que des reports se feront sur le blé.

L’USDA table sur une progression de la consommation mondiale de blé en 2023/2024 de seulement 3 Mt contre 8 Mt pour l’IGC. Pour ce dernier, la consommation des importateurs historiques retrouverait les niveaux de 20/21, malgré l’inflation. Une partie de cette utilisation se ferait en tapant sur les stocks avec un ratio stock/consommation qui pourrait s’établir à un plus bas de 52 % (64 % avant le Covid !). Face au prix mondial actuellement bas du blé et au risque sur le riz, ils seraient bien avisés de reconstituer des stocks plutôt que de les utiliser… À suivre donc !


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