Et si je réduisais l’intervalle entre deux traites ?

En réduisant le temps entre deux traites, la station expérimentale de Trévarez (29) met le doigt sur le sujet de l’organisation de la journée. Des changements importants, qui pourraient bouleverser l’emploi salarié.

« Il faut 10 à 12 heures entre deux traites ». Cette idée, gravée dans le marbre des producteurs de lait, a la vie dure. Selon une enquête menée auprès des éleveurs bretons, les trois-quarts des producteurs respecteraient un intervalle de 10 à 11 h entre deux traites. Pourtant, réduire ce délai a de nombreux avantages. « C’est aux éleveurs de franchir le pas, pas aux animaux », explique Patrick Buguel, producteur à Dirinon (29). Diminution du temps d’astreinte, adaptation des horaires pour le salarié, mais surtout attractivité du métier sont des arguments pour les producteurs ayant choisi de réduire ce laps de temps.

6h30 entre 2 traites, c’est possible

Faire passer les deux traites quotidiennes dans une journée de 8 heures de travail est possible, avec toutefois des incidences sur la production. Un essai mené sur des laitières de la ferme expérimentale de Trévarez produisant 8 500 à 9 000 kg de lait par an, sur une durée de 4 mois, a comparé des animaux traits à 9 h et à 15 h 30 à un troupeau conduit classiquement (traite à 7 h et 17 h). Les animaux faisant l’objet de l’expérimentation se situaient en début ou en milieu de lactation. « Il y a une baisse de la production les premières semaines, puis il n’y a plus d’incidences », explique Élodie Tranvoiz, chargée d’étude à la Chambre régionale d’agriculture.

L’essai a également montré une baisse d’un point de TP, soit 2 600 € de perte annuelle. « Cette perte peut être compensée par un passage de la main-d’œuvre salariale de 39 à 35 heures hebdomadaires. Pour l’élevage, c’est a priori une opération blanche. Une précédente étude avait montré une dégradation du taux protéique, mais deux autres avaient au contraire montré une amélioration de ce critère. Ce résultat en provenance de Trévarez remet donc les compteurs à égalité, à deux essais positifs pour deux négatifs ».

Cette pratique de réduction de l’intervalle de traite n’a pas eu de conséquences sur le comportement du troupeau. « Nous n’avons rien remarqué de particulier sur le comportement, même si l’intervalle entre la traite de l’après-midi et celle du matin est plus long. Nous ne les avons pas vues beugler ou s’agiter. À noter que les logettes sont un peu plus souillées pour le lot « 6 h 30 d’intervalle », avec un peu plus de pertes de lait, mais sans engendrer de mammites », observe Guillaume Le Gall, responsable du troupeau laitier de la station. L’essai montre une souplesse d’adaptation des vaches, « qui n’est pas irréversible », rappelle Élodie Tranvoiz.

Elle ajoute que « réduire son intervalle entre deux traites demande aussi une organisation du pâturage. Cet essai a été mené en hiver, pour qu’il n’y ait qu’un seul facteur changeant, à savoir les horaires de traite ». En période d’accès aux pâtures, la responsable estime que « les ingestions ne sont pas les mêmes. Les parcelles de jour doivent être au plus près des bâtiments pour faire rentrer les animaux plus vite, les parcelles de nuit peuvent être les plus éloignées ».

Changer de regard

Démarrer la traite des animaux en plein milieu de l’après-midi peut susciter de la curiosité des voisins, sans parler d’un certain sentiment d’incompréhension. « Il trait tôt pour finir tôt sa journée… ». L’organisation du travail et le changement des horaires sont des sujets délicats que la profession a du mal à évoquer. Pourtant, c’est aussi une façon de séduire des futurs salariés. « Nous ne sommes plus aussi rigides », avoue Patrick Buguel. « Le Finistère compte plus de salariés que de chefs d’exploitation, c’est donc aussi une autre façon de voir l’élevage. La production porcine propose des horaires beaucoup plus adaptés, à nous de montrer des systèmes qui s’en rapprochent pour attirer vers la production laitière ».

Cette gestion des horaires de traite influera sur les salariés permanents, qui deviendront « de plus en plus spécialisés. Ils n’iront plus au champ, seront moins polyvalents », pense Élodie Tranvoiz. « Le matériel de traite devra être adapté au trayeur, pour limiter les risques de TMS (troubles musculo-squelettiques) ». Des solutions comme des planchers mobiles participent à améliorer les conditions de travail.

De la polyvalence pour créer de la motivation

[caption id=”attachment_34377″ align=”alignright” width=”156″]Stéphane Charon, Directeur de Finistère  Remplacement – Partag’emploi Stéphane Charon, Directeur de Finistère Remplacement – Partag’emploi[/caption]

L’agrandissement des exploitations va accentuer la spécialisation des salariés dédiés 5 à 6 heures par jour à la traite. C’est une erreur, il faut davantage travailler sur la polyvalence pour créer de la motivation. La réduction des écarts entre les traites écourte aussi les temps de pause, qui sont de 3 à 4 heures de creux à la mi-journée. Les organisations sont à revoir, avec par exemple le salarié qui effectue la traite le matin, pour aller au champ l’après-midi. Diversifier les tâches, c’est aussi varier les contraintes du corps et se préparer au changement : en cas d’évolution vers une traite robotisée, le salarié affecté exclusivement à la traite peut se demander quelle est son utilité… Diminuer l’intervalle de traite permet enfin de se fondre dans les nouveaux codes sociaux, pour éviter d’être déconnecté du cadre général de la société. L’exploitation est une entreprise comme une autre, elle ne peut pas être en marge. Stéphane Charon, Directeur de Finistère Remplacement – Partag’emploi


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