La Canadienne retrouve la terre de ses ancêtres

canadienne-bretagne-mickael-rome-baguer-morvan - Illustration La Canadienne retrouve la terre de ses ancêtres

Après quatre siècles d’absence, la Canadienne a reposé le sabot sur ses terres d’origine, la Bretagne. Mickaël Romé, à Baguer-Morvan (35), est un des gardiens de ce patrimoine vivant.

Son format n’est pas sans rappeler la Bretonne Pie Noir. Tout comme son tempérament. Décidée à n’en faire qu’à sa tête, la Canadienne masque sous une placidité feinte, ce fichu caractère de vraie Bretonne, têtue mais franche. Un trait de caractère que 400 ans d’exil n’ont pas atténué d’un poil. Sans doute cette détermination à tenir haute la corne d’artimon, de celle que l’on nommait jadis la Contentine, était-elle trop profondément enfouie dans les gènes pour s’évaporer pendant le long voyage entrepris dans le froid canadien.

Une robe aux couleurs primitives

La Canadienne n’en demeure pas moins attachante. Sous le soleil breton, sa robe luisante pigmente les verts pâturages de ses nuances de couleurs primitives qui vont du noir au brun. Facétie d’une nature indomptable, sa robe peut aussi s’enflammer d’un roux-feu au hasard des rencontres gamétiques. Une élégance toute bovine rehaussée par de cornes en lyre, signature de son appartenance aux races celtiques, comme la Froment du Léon, la Bretonne Pie Noir, la Jersiaise.

En tout cas, Mickaël Romé l’aime comme elle est, authentique et singulière. Et, au fil des années, il a appris à apprécier cette vache qu’il a accueillie un peu par hasard, beaucoup par curiosité. « Il y a une dizaine d’années, Laurent Avon, ambassadeur des races anciennes à l’Institut de l’élevage, m’appelle pour placer des Canadiennes originaires du Québec et débarquées en France quelques années plus tôt. Il finit par me convaincre. Aujourd’hui, sur la cinquantaine de femelles de la race présentes en France, une trentaine se trouve sur la ferme que je partage avec mon associée, Lauriane ».

Les vaches prennent l’avion

L’histoire de ce retour de la Canadienne sur ses terres d’origine est un peu rocambolesque. Au départ de cette aventure, un père et son fils québécois qui envisagent une installation en Mayenne ; avec le projet de réimplanter cette race sur la terre de ses ancêtres. C’est ainsi que neuf génisses et un taureau atterrissent à l’aéroport Roissy. Mais le cédant de l’exploitation mayennaise se rétracte au dernier moment et l’installation des Québécois conquérants ne peut pas se concrétiser. C’est ainsi que ce troupeau souche doit être dispersé en urgence dans plusieurs élevages de la région. « Or, il s’agissait d’animaux génétiquement originaux puisqu’ils n’avaient pas subi de brassage avec la Brown Swiss, croisement largement pratiqué au Québec à partir des années 60.

Ces animaux importés étaient au contraire issus d’un cheptel qui avait travaillé en autarcie génétique », explique l’éleveur de Baguer-Morvan qui, quelques années plus tard, a saisi l’opportunité de récupérer Joséphine, une vache qui avait fait le voyage et que son propriétaire d’adoption destinait désormais à la boucherie. « À 16 ans, Joséphine est toujours là. Elle a contribué pour sa part à constituer le noyau génétique présent sur notre ferme », se félicite l’éleveur qui parle de quatre familles distinctes édifiées à partir des Canadiennes débarquées à Paris en 1999 et réparties dans différents élevages français.

Un plan de sauvegarde

Témoignage de l’importation de bovins français au moment de l’installation des colons dans la Nouvelle-France (Québec), la Canadienne de souche française proviendrait de seulement quelques ports de la Manche. Il apparaît que les plus importantes importations ont eu lieu sous l’administration de Colbert et de Talon entre 1660 et 1670. Jusqu’en 1850, les bovins canadiens représentaient la majorité des bovins laitiers du Québec, mais les effectifs ont sérieusement décliné du fait de la concurrence de nouvelles races et de son croisement avec la Brune suisse. Aujourd’hui, les effectifs de race pure canadienne sont inférieurs à une centaine. Conscient que la race menaçait de disparaître, un plan de sauvegarde, appuyé sur une valorisation différente de son lait, a été mis en place.

Un lait au faible écart TP-TB

Pour autant qu’elle soit belle et qu’elle arbore un patrimoine génétique original, la Canadienne devait s’inscrire dans un système économique pour conserver sa place chez Mickaël Romé. « Je produis une quarantaine de veaux de lait. La race canadienne a conservé la particularité des races bretonnes de produire une viande persillée au grain très fin. Des qualités qu’apprécient les bouchers qui ne retrouvent pas forcément ces qualités au sein des races à viande », assure l’éleveur qui estime que la Canadienne trouve pleinement sa place à côté de ses Froment du Léon, Armoricaines, Nantaises, Bretonnes Pie Noire qui constituent son
troupeau actuel.

Race laitière par excellence, avec des ancêtres sélectionnés pour la production de beurre sur une zone littorale qui s’étend de Guingamp au Cotentin, la Canadienne a également la spécificité de produire un lait riche en caséine et affichant peu d’écart entre le taux protéique et le taux butyreux (37 TP – 43-45 TB). « Au niveau transformation, c’est donc un lait facile à travailler », fait observer Lauriane qui vient de se lancer dans la fabrication de produits laitiers et fromagers. Et Mickaël Romé de rebondir sur les deux particularités, laitière et bouchère, de la race qui font « La » différence pour « faire du local » : « Pour se démarquer sur le créneau de la vente directe, il faut deux ingrédients : du terroir et du territoire ». À Baguer-Morvan, la Canadienne a rapporté sa touche terroir sur son territoire d’origine. Une double estampille qui devrait lui assurer longue vie sur la ferme « Les Cours Paris »,  un nom bien singulier lui aussi pour un village breton. Didier Le Du


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