C’est une clé de compréhension majeure pour expliquer pourquoi l’accord supposé conclu sur des achats de soja US par les Chinois d’ici la fin de l’année et les campagnes suivantes n’a pas été confirmé officiellement côté chinois. Au contraire, les achats de graines au Brésil ont continué à progresser, dépitant les farmers américains qui croulent sous leurs stocks.
Objectif : baisser le coût des exportations
Une des raisons expliquant que l’empire du Milieu privilégie le fournisseur sud-américain, concerne les liens économiques profonds tissés entre les deux pays, renforcés par l’investissement et le développement des infrastructures. Au cours de la dernière décennie, le Brésil est en effet devenu une priorité dans les plans d’expansion de Cofco International[2].
Une infrastructure ferroviaire cruciale pour augmenter la compétitivité
L’entreprise, qui est l’une des principales sociétés mondiales de négoce de matières premières, possède 20 silos à grains dans l’État du Mato Grosso, une usine de trituration de soja, quatre sucreries et usines d’éthanol à São Paulo, et un terminal sur le port de Santos. Or en 2022, Cofco a obtenu la concession de ce terminal pour 25 ans au minimum. De quoi envisager des investissements colossaux afin de tripler la capacité et de baisser le coût des exportations.
Pleine capacité attendue en 2026
Le nouveau terminal a été inauguré en mars 2025 et devrait atteindre sa pleine capacité dès 2026. Et autant dire que les Chinois ont vu grand : 285 millions de dollars d’investissement, 14,5 millions de tonnes traitées par an notamment du soja, du maïs et du sucre, une capacité de stockage de 500 000 tonnes et deux chargeurs de navires capables d’alimenter deux Panamax par jour (140 000 tonnes). Chaque année, plus de 200 navires, 110 000 camions et 85 000 wagons seront chargés ou déchargés. Le transport routier coûtant cher, le pari est ici de recevoir 70 % des livraisons par train en provenance de Rondonópolis (Mato Grosso). Pour soutenir ce projet, la société a annoncé un investissement de 206 millions de dollars dans l’achat de wagons et de locomotives. Cette infrastructure ferroviaire est cruciale pour augmenter l’efficacité et la compétitivité des exportations de Cofco, car les productions de soja et de maïs du Mato Grosso sont en pleine croissance mais fortement enclavées.
Améliorer la traçabilité des flux de grains
Avec ce terminal d’exportation en propre, le gouvernement chinois vise une baisse de 10 % à 15 % de ses coûts d’approvisionnement. Cofco International souhaite aussi améliorer la traçabilité des flux de grains et répondre à une demande croissante de soja durable. L’entreprise a signé un accord avec deux grandes entreprises laitières chinoises (Mengniu Dairy, Sheng Mu Organic Dairy) portant sur la fourniture de 1,5 Mt de soja certifié durable, garantissant notamment que l’oléagineux provienne de zones exemptes de déforestation et de conversion des terres depuis le 31 décembre 2020.
Patricia Le Cadre, www.cereopa.fr
[1] Les Brics représentent un ensemble de pays émergents au nombre de 10 actuellement et dont les membres d’origine sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud.
[2] Cofco est la branche commerciale internationale de la société publique chinoise Cofco Corporation et est présente dans plus de 50 pays. C.A 2023 de 50 milliards de dollars. Volumes de 122 Mt de matières premières et de produits alimentaires traités.
L’avenir appartient aux marchés qui investissent dans les infrastructures
Dans un contexte de tensions commerciales entre Pékin et Washington, le terminal de Santos est donc un atout considérable. Rappelons que Cofco a exporté 17 Mt de grains brésiliens en 2024. À terme, 70 % à 80 % des produits transiteront par Santos et le reste via l’Arc nord. Rappelons que l’entreprise possède aussi deux terminaux en Argentine pour une capacité totale de 11 Mt/an et un autre terminal en Roumanie (5 Mt/an).Les autorités brésiliennes s’activent aussi pour faire sortir les grains du Nord du pays et ont donné le feu vert à la navigation de barges sur la liaison Araguaia-Tocantins, ce qui permettrait l’exportation via la rivière Amazone. L’État du Mato Grosso a également ouvert un bureau de l’Invest MT (agence de promotion des investissements) à Shanghaï, pour faciliter les apports de capitaux.
38 000 km de réseau ferroviaire
La Chine a développé ses alliances logistiques via les routes de la Soie. Mais la vision de Xi Jiping concerne aussi son marché local. En un peu plus d’une décennie, les Chinois ont développé sur leur territoire, le plus grand réseau ferroviaire à grande vitesse au monde, redéfinissant la géographie du commerce, du travail et de la croissance. En 2008, le réseau chinois existait à peine. En 2020, le pays possédait un système interconnecté de plus de 38 000 kilomètres, couvrant plus de 90 % des grandes villes.La stratégie ferroviaire se révèle une révolution de la productivité en créant une nouvelle géographie économique, reliant les ports, les usines et les villes en un seul marché de 1,4 milliard de personnes. Le modèle est actuellement à l’étude, de l’Indonésie et de l’Arabie saoudite au Brésil et à l’Afrique, alors que les économies émergentes cherchent à reproduire les effets multiplicateurs de la connectivité physique.

