Tout a commencé lors d’une visite au salon Innov-Agri en 2019. Stéphane Échard y rencontre Precifield, une entreprise spécialisée dans la cartographie de sol et la modulation d’intrants. « Ils présentaient leur scanner Veris, que j’ai décidé d’acheter », se rappelle l’agriculteur. « J’ai toujours été passionné par le fonctionnement des sols. » Sur la ferme, située à Houville-en-Vexin (27), gérée par son fils Victor depuis 2021, sont cultivés du blé, du colza, des pois de printemps, du lin, des haricots secs et du maïs. « Cette longue rotation permet de moins épuiser les sols. Nous implantons également des couverts végétaux de manière systématique. » Les produits phytosanitaires, notamment insecticides et fongicides, sont quant à eux raisonnés et les régulateurs de croissance ont été exclus du système. Après l’achat du scanner, Stéphane Échard commence par cartographier les 115 ha de son exploitation. Depuis lors, les données sont valorisées pour moduler les densités de semis.
Un outil multi-capteurs
Attelé derrière un 4×4, le Veris recueille de nombreuses informations lors de son passage. Quatre disques traversés par un courant électrique mesurent la conductivité des sols, qui permet par la suite de caractériser les différents types de sol de la parcelle. Une lentille infrarouge montée sur un coutre estime le taux de matière organique, tandis qu’un GPS relève la topographie. « Tous les 60 mètres, je m’arrête pour mesurer le pH du sol grâce à deux sondes placées sur le scanner », précise Stéphane Échard, qui est aujourd’hui prestataire pour Precifield et intervient chez leurs clients pour scanner leur parcellaire. L’outil doit être passé tous les 15 m, à une vitesse d’environ 4 km/h. « Je fais environ 4 ha/h », ajoute-t-il.


Calibrer les données
Pour optimiser la précision des données, des conditions légèrement humides sont recommandées lors du passage. « L’idéal est de travailler au printemps ou en fin d’automne », indique Stéphane Échard. « Le sol peut être couvert, car l’attelage n’endommage pas la culture. Je suis déjà passé dans de l’orge sans aucun problème. » Dans l’habitacle du véhicule, une tablette permet d’avoir l’œil sur la collecte des données en temps réel. Après le passage, des analyses de sol, effectuées par un laboratoire agréé, sont nécessaires pour « calibrer les données. » En moyenne, une analyse est requise tous les 2,5 ha. « Une fois les résultats reçus, Precifield compile toutes les données pour générer les différentes cartes. » Sur l’exploitation de Victor Échard, les parcelles sont majoritairement constituées de limons profonds avec certaines zones argileuses lourdes. « Notre parcellaire est assez vallonné et les ruptures de pente sont globalement plus argileuses », note Stéphane Échard. La matière organique est d’environ 3 % et le pH se situe entre 7 et 8.

Adapter les densités
Toutes les données sont centralisées sur une plateforme web. Celle-ci permet à l’utilisateur de créer ses propres cartes de modulation et de les exporter sur la console du tracteur. Chez Victor Échard, les parcelles sont généralement séparées en 4 à 6 zones pour les semis. « Nous utilisons les cartes de texture de sol pour moduler les semis », lance Stéphane Échard. « Pour le lin, nous sommes à 1 800 grains/m2 dans les zones limoneuses et 2 600 grains/m2 dans les argiles, où la levée est plus difficile. » Le pois de printemps varie entre 80 et 110 grains/m2, et le blé entre 200 et 260. « Les levées sont beaucoup plus homogènes, ce qui limite également le développement des adventices dans les endroits qui pouvaient être auparavant clairsemés. En modulant les semis, nous réduisons aussi l’usage des pesticides. » Le maïs, en revanche, n’est pas encore modulé, le semoir actuel n’étant pas compatible.

Moduler la fertilisation
La modulation des apports d’azote se base sur des images satellites captées tous les 3 jours. Ces images permettent d’évaluer la biomasse et d’adapter les doses en fonction du développement de la culture au sein d’une même parcelle. Comme pour les semis, les cartes de modulation se génèrent en quelques clics depuis la plateforme. Victor et Stéphane Échard utilisent un épandeur de 28 m capable de moduler gauche-droite. « Sur blé, nous modulons dès le 1er apport pour développer le tallage et la biomasse », affirme le Normand. « Selon les parcelles et les années, certaines zones ne reçoivent rien et d’autres le double de la dose de base. »
Lisser les différences
« Avec l’agriculture de précision, c’est toujours difficile de quantifier ce qu’on gagne », tempère Stéphane Échard. « En modulant nos semis et nos engrais, nous sommes surtout dans l’optimisation. Nous mettons la bonne dose au bon endroit. » Cependant, avec le temps, les agriculteurs ont observé une homogénéisation des différences intra-parcellaires. « Avant, nous pouvions avoir des écarts de 30 q/ha sur une même parcelle. Aujourd’hui, tout est lissé. On ne voit plus les différences à l’œil nu. » Dans quatre ans, de nouvelles analyses de sol permettront d’évaluer plus précisément l’impact de la modulation sur le parcellaire.
On ne voit plus les différences à l’œil nu
Boucler la boucle
Jusqu’ici, la moisson était confiée à une entreprise disposant d’une moissonneuse équipée d’un capteur de rendement. « Pour autant, nous n’avons jamais pu récupérer les cartes », déplore l’agriculteur. « C’est pourtant la finalité de notre stratégie au cours de la campagne entière. Elles permettent de savoir si on a bien travaillé ou pas. » Pour les prochaines récoltes, le Normand souhaite investir dans sa propre machine et ainsi récupérer le maillon final de cette chaîne cartographique.
Alexis Jamet
En chiffre : 4 ha/h débit de chantier – 130 €/ha coût du passage – 40 à 50 € d’économie par hectare grâce à la modulation de la fumure de fond
Quelle rentabilité ?
La cartographie de sol permet de moduler la fumure de fond, générant ainsi une économie de 40 à 50 €/ha par rapport à une fertilisation non modulée. « Certains utilisateurs adaptent même le type d’engrais à leurs parcelles, en optant pour des engrais simples, binaires ou ternaires », indique Alexandre Weil, cofondateur de Precifield. Les bénéfices économiques liés à la modulation des densités de semis sont plus difficiles à chiffrer. « Les instituts techniques s’entendent sur un gain de 5 % de rendement sur du maïs, culture la plus étudiée dans ce domaine. Pour les céréales, les gains seraient plutôt de l’ordre de 10 à 25 €/ha. » En ce qui concerne la modulation de l’azote basée sur l’imagerie satellite, les gains varieraient entre 20 et 35 €/ha. « Cela s’explique par l’économie d’engrais sur colza, et par le gain de rendement pour les céréales. » Le passage du Veris est facturé 130 €/ha. L’abonnement annuel à la plateforme web s’élève à 750 €.
Caractériser le sol depuis le ciel
« Nous proposons des cartographies de sol réalisées à partir d’images satellites », indique Alexandre Weil. « Elles sont moins détaillées que celles obtenues avec le Veris, mais aussi plus rapides à produire et plus économiques. » Concrètement, 10 000 hectares parcourus avec le Veris ont servi à constituer une base de données entraînée par des algorithmes. Ces informations ont enfin été croisées avec des images satellites enregistrées depuis 2017, donnant ainsi naissance à des cartes de texture de sol. « Nos clients utilisent cette prestation pour moduler leurs semis de maïs ou piloter l’irrigation. Certains y ont recours sur des parcelles difficiles d’accès. »