Un jour, son banquier lui glisse une idée : « Pourquoi ne pas investir dans des terres agricoles ? » La graine germe. Joseph Niguinen – que tout le monde appelle Jop – se met à scruter les annonces, notamment celles du Paysan Breton. « Parfois, ce sont des fermes louées, explique-t-il. Le propriétaire veut vendre, mais le locataire n’a pas les moyens, ou ne veut plus acheter compte tenu de son âge. » Le risque dans un tel contexte ? Que ces terres agricoles tombent dans les mains de fonds d’investissement éloignés, impersonnels.
Passeur de relais
Alors, Jop se propose. Localement. Discrètement. Il achète, mais sans visée spéculative. À la Safer, il l’a dit d’emblée : pas question de planter, ni de revendre à la première occasion. Son rôle, c’est de passer le relais : permettre à un jeune de s’installer, ou à un éleveur en place de continuer. Pas de plan caché. Juste l’envie de soutenir, à sa façon, l’élevage centre-breton. Avec une règle simple : ne pas faire monter les prix, mais maintenir un équilibre viable, pour lui comme pour les autres.
Un pacte silencieux
En dix ans, cet investisseur rural atypique a acquis 4 fermes nichées dans ce cœur de Bretagne qu’il chérit. « Je cherche des blocs cohérents, entre 20 et 30 hectares », précise-t-il. Chaque achat a sa petite histoire. La première : des éleveurs de plus de 55 ans avaient fait une promesse d’achat… avant de se rétracter. Jop prend le relais. Il achète les terres, et surtout, laisse le bail se poursuivre.
Permettre à un jeune de s’installer
Il insiste : « Je préfère que ce soit l’éleveur qui achète. Mais s’il ne peut pas, autant que ce soit un local qui investisse, plutôt qu’un fonds venu d’ailleurs. » Aucun projet de plus-value, aucun appât du gain. Juste un engagement sur le long cours, avec une ligne de conduite : ne pas jouer d’opportunisme, mais tenir dans le temps. « Ce type d’achat est figé pour trente ans, sinon on paie la plus-value. Alors autant le faire dans une logique durable. »
Dans ses opérations, tout est cadré. Pas de cavalcade, pas de coup de poker. Il vise la stabilité : celle des exploitants en place, celle du foncier, celle d’un modèle rural qu’il veut voir perdurer. Il connaît les rouages administratifs, parle avec la Safer, négocie avec rigueur et droiture. Mais toujours avec la même boussole : garder un cap à taille humaine.


« J’ai envie d’aider »
Le week-end, Joseph Niguinen rejoint la ferme familiale, là où il est né et a grandi. Dans cette campagne du canton de Callac, bottes aux pieds, il se ressource au contact du paysage. Il taille les haies, arpente les champs. Il aime cette campagne bien tenue, pas figée, avec son bocage entretenu, ses arbres séculaires, ses silences, sa vie agricole intense.
Il dit souvent que les gens ne regardent plus ce qui se passe autour d’eux. Lui cultive ce regard-là. Un regard hérité d’une culture chrétienne et rurale où l’entraide n’est pas un mot creux, mais une pratique. « J’ai envie d’aider », répète-t-il simplement. Dans cette Bretagne intérieure que certains disent oubliée, il trace à sa manière un chemin discret, mais solide : celui d’un capitalisme enraciné, lucide et altruiste.
Didier Le Du
Comment il décide ?
Pour fixer le prix qu’il est prêt à mettre, Joseph Niguinen applique sa propre règle de trois. Objectif : obtenir 4 % de rentabilité (hors impôts sur le revenu). Le retour sur investissement est 25 ans minimum… Il part du loyer annuel perçu, y soustrait les impôts fonciers. Ce calcul lui donne le seuil d’investissement à ne pas dépasser. « Si ça dépasse, je passe mon chemin », tranche-t-il. Une méthode qui l’aide à garder le cap : ni spéculateur, ni mécène. Juste un investisseur cohérent, au service d’un territoire.