Hervé s’est installé en 1987 avec son frère sur une ferme morbihannaise. L’exploitation possédait un atelier laitier, un atelier taurillons ainsi qu’un élevage de poulets de chair. La surface était de 90 ha, sur lesquels étaient cultivés du maïs, du méteil et des prairies. « Dans les années 80-90, on se protégeait très peu lors de la manipulation des produits phytos », raconte l’ancien agriculteur. « La nocivité des matières actives était mal connue. Je me souviens d’exploitants qui avaient les mains toutes jaunes après l’utilisation de certains herbicides. Le matériel de l’époque était également très peu performant. Les buses se bouchaient et se cassaient régulièrement ».
Pas de risque zéro
En 1993, Hervé est atteint d’une forme rare d’un cancer du poumon, dont le lien avec l’utilisation des pesticides n’est pas établi. Cependant, la maladie provoque un déclic et le Morbihannais commence à utiliser davantage d’EPI (équipements de protection individuelle) lors des traitements : lunettes, masque, gants et sur-cotte à usage unique. De plus, à la fin de chaque chantier, Hervé prend une douche et change complètement de vêtements. « J’étais très prudent pendant les traitements. On peut même dire que j’étais habillé comme un ‘cosmonaute’. Seulement, même avec les EPI, le risque zéro n’existe pas. Par exemple, l’utilisation du masque et des lunettes de protection est peu compatible avec le port de lunettes de vue ».
La maladie
En octobre 2019, à l’âge de 55 ans, Hervé se voit diagnostiquer une leucémie aigüe, une maladie affectant les cellules sanguines. « J’ai été hospitalisé 4 mois en chambre stérile », raconte-t-il. « Les traitements ont été très lourds. Le confinement s’est ajouté à tout cela, impactant le retour à la maison et la vie sociale. Ce fut une période très difficile physiquement et psychologiquement ». Dès le diagnostic posé, le frère et la conjointe de Hervé contactent l’antenne locale de la MSA. Un dossier est monté afin d’obtenir une indemnité de maladie professionnelle. « J’ai été en arrêt maladie pendant 3 ans avant d’être déclaré en invalidité définitive par la MSA. L’indemnité était de 29 € par jour pendant ces 3 ans, ce qui est loin de couvrir les 35 à 40 000 €/an que coûte un remplaçant ou un salarié agricole ». Début 2022, Hervé et son frère décident alors de vendre la ferme. La vente est effective depuis mars 2023.
Le FIVP
Rapidement, Hervé apprend l’existence du FIVP (Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides), créé le 1er janvier 2020. Ce fonds est composé, entre autres, d’un comité de reconnaissance des maladies professionnelles dédié aux pesticides. « Le FIVP a reconnu ma maladie comme étant en lien avec les phytos que j’avais manipulés pendant 32 ans. On ne pourra jamais certifier que les pesticides ont réellement causé cette leucémie mais il est avéré que la probabilité de déclarer ce type de cancer est plus élevée chez les agriculteurs ». Un dossier précis et détaillé est monté grâce à l’ensemble des cahiers phytos depuis 1987. Ces derniers ont permis de répertorier l’ensemble des produits utilisés pendant toute la carrière d’Hervé. « Ce dossier, présenté en commission, m’a permis de percevoir un complément de 290 €/mois du FIVP. Peu d’agriculteurs connaissent ce fonds. Cette indemnisation supplémentaire permet pourtant de compléter le faible montant des rentes maladies professionnelles versées par la MSA, souvent bien inférieures à 800 €/mois ».
Communiquer sur la dangerosité
Sur Internet, Hervé découvre l’association Phyto-Victimes dont le rôle est d’accompagner et de soutenir les victimes professionnelles et de sensibiliser à la dangerosité des pesticides. « Du fait de mes antécédents, j’estime avoir le devoir moral de communiquer sur le danger représenté par la manipulation des pesticides. Il y a un réel déni sur le sujet et le volet prévention de Phyto-Victimes est très intéressant ». Il leur transmet alors son propre dossier dans le but de compléter leur base de données de veille sanitaire.De plus, depuis quelques mois, Hervé donne des cours d’agronomie dans un lycée agricole. Dès que l’occasion se présente, il insiste sur les précautions à prendre lors de la manipulation et de l’utilisation des phytos auprès des élèves. « Je ne suis pas contre l’usage des pesticides quand cela est nécessaire mais j’aimerais que mon témoignage déclenche une prise de conscience sur le bon usage des EPI. De plus, il faut rendre les agriculteurs plus conscients des risques qu’ils encourent et absolument trouver des alternatives aux produits les plus dangereux ».
Alexis Jamet
Faire remonter les effets secondaires
Suite à l’utilisation des produits phytosanitaires, il est possible de ressentir des troubles, comme des maux de tête, des vertiges ou même des saignements de nez. « Quand ce genre d’évènement arrive, il est très important de faire remonter les effets secondaires au fournisseur et à la MSA », déclare Hervé.