En arrière-cuisine

Il est parfois des idées si répandues qu’elles s’imposent comme des vérités gravées dans le marbre. C’est le cas pour la politique agricole européenne que l’on assimile avant tout à une politique alimentaire destinée à soustraire le peuple du Vieux Continent à la faim. Certes, et c’est indéniable, la politique agricole commune avait pour ambition de remplir les greniers de l’Europe ; et c’est réussi. Ce que l’on dit moins, c’est que ce grand projet agricole inscrit dans le Traité de Rome de 1957 est un volet important de la politique d’industrialisation de l’Europe démocratique, passée à deux doigts de tomber sous le joug d’une des deux dictatures qui s’affrontaient en 1945 sur le continent. La Seconde Guerre mondiale a en effet révélé que les grandes puissances sont d’abord des puissances industrielles (États-Unis, Allemagne). Pour s’imposer sur l’échiquier mondial récemment libéré du nazisme et en pleine guerre froide, l’Europe adhère donc rapidement à l’idée cornucopienne que le progrès technologique est source de développement, d’enrichissement et ouvre la porte pour atteindre le rang de puissance économique et politique respectée. D’une pierre, deux coups : en garantissant les prix de vente des produits agricoles par des filets de sécurité, l’Europe incite les agriculteurs à investir dans la mécanisation et à « rationaliser » leurs outils ; avec son corollaire qu’est la concentration des moyens de production, essentiellement le foncier. Cette mutation de l’agriculture a pour effet d’évincer les petits agriculteurs qui deviennent autant de bras disponibles pour l’industrie. Six décennies plus tard, ce précepte que l’innovation technolo-gique et l’industria-lisation des productions nourrissent la corne d’abondance semble encore guider la politique agricole européenne….

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