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Quand les paysans étaient des migrants

Quelque 2 500 familles de paysans bretons se sont établies dans les Pays de la Garonne à partir de 1921. Une migration organisée par l’Office Central et encadrée par l’Église.

Strasbourg, juillet 1920. C’est là, au Congrès national des Unions de syndicats agricoles que prend véritablement naissance le mouvement migratoire qui va concerner quelque 15 000 Bretons essentiellement originaires du Finistère. Des familles entières vont quitter leur village natal pour tenter leur chance en Dordogne. Un déracinement pour cette population paysanne viscéralement attachée à sa terre. Mais aussi un projet plein d’espérance : celui de travailler sa propre ferme. Une belle ferme, d’une trentaine d’hectares ou plus. Un vrai domaine au regard des fermettes bretonnes de l’époque.

Car, dans les Pays de la Garonne la terre de manque pas. Cette région du Sud-Ouest est, à l’époque, confrontée à une désertification et à l’enfrichement, conséquences indirectes du choix de l’enfant unique. Un contrôle des naissances efficace pour éviter le morcellement des propriétés agricoles familiales, mais dramatique pour le renouvellement des générations. C’est sur ce terrain d’un déficit de population agricole d’un côté, et d’un trop-plein de l’autre que va s’organiser la migration des paysans bretons vers la Dordogne et les départements limitrophes.

La seule migration rurale organisée en France

Au sortir de la Guerre 14-18, la France déborde en effet de paysans. Plus encore en Bretagne catholique où la famille nombreuse est conçue comme un don de Dieu. Le revers, c’est un exode rural massif. Président de l’Office Central de Landernau, Hervé Hude de Guébriant, pétri de catholicisme social, s’alerte de la situation pléthorique de la main-d’œuvre agricole et peut-être plus encore de la fin prochaine du moratoire qui protège les agriculteurs jusqu’à la Saint-Michel 1921 (Le statut du fermage n’existe pas encore). François Tynévez, maire de Plabennec et un des leaders des syndicats agricoles du Finistère, suggère de son côté de « guider l’émigration » pour freiner les départs des jeunes paysans vers les villes ou l’Amérique du Nord où ils risquent « de perdre leur âme ». D’où cette idée d’encadrer une migration rurale intérieure. Avec cette volonté probable de l’Office Central de Landerneau de répandre une civilisation bretonne « idéale » basée sur trois piliers et si chère à de Guébriant : « Paysan, chrétien, breton ».

Le grand voyage de la Saint-Michel

Au printemps 1921, un premier voyage de prospection est réalisé. « En juin, une quarantaine de paysans partent en éclaireurs en Dordogne. Ils sont accompagnés par François Tynévez, Pierre Le Bihan et l’abbé Lanchès qui les aident à réaliser les démarches : des baux sont finalisés », explique Anne Guillou, docteur en sociologie rurale et auteur de l’histoire romanesque « Terres de promesses ». À la Saint-Michel, les premiers convois de paysans partent par train. Un grand voyage de trois jours pour des familles qui, bien souvent, n’ont jamais franchi les frontières du canton. Certains partent avec un simple baluchon, d’autres avec leurs outils et le bétail. Et leur cheval. Un cheval qui ne sera pas toujours adapté à cette région qui a toujours fait confiance aux bœufs pour labourer cette terre chargée de glaise ; une terre rendue particulièrement lourde en cas de pluie et séchante l’été.

Si la nécessité de nourrir une famille nombreuse porte le paysan breton à être courageux au travail, ce dernier ne va pas moins être confronté au choc des cultures. Il est d’abord confronté au barrage de la langue. Le breton et le patois périgourdin n’ont aucune racine commune. Si chaque Breton porte « un curé dans sa valise », la pratique religieuse du Périgourdin est également moins assidue dans ce pays « radical socialiste ». Bref, le Breton qui débarque sur les terres de la Dordogne est considéré comme un immigré dont la population locale s’en méfie voire méprise. Une méfiance de l’étranger qui n’est pas sans rappeler le contexte actuel avec les réfugiés syriens…

Maire au bout de 10 ans

Il n’en demeure pas moins que certains immigrés s’acclimatent rapidement à leur nouvel environnement social et culturel jusqu’à devenir maire de leur commune seulement 10 ans après leur installation. Trois générations plus tard, les descendants des paysans bretons ont perdu leur accent bien de chez nous. Pour ne garder que les patronymes, témoins d’une immigration passée et leçon pour une émigration présente et à venir. Didier Le Du

Pour en savoir plus :

  • Cœurs de Breizh, Sylvain Le Bail, éditions Les oiseaux de papier, 19,50 €
  • « Terres de promesses », Anne Guillou, éditions Skol Vreizh, 15 €.
  • Les Bretons d’Aquitaine, par l’abbé Mévellec, Bulletin de la Société française d’économie rurale ; volume 2 N°1, 1950.
  • « D’un pays à l’autre, de la Bretagne à l’Aquitaine », recueil de témoignages de Bretons immigrés en Dordogne, écrit par l’amicale Laïque de Saint-Aubin-de-Cadelech, éditions Récits Les Yeux des Rays, Langast (22).

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