bocage-breton - Illustration Le bocage toujours en mouvement

Le bocage toujours en mouvement

Il se redessine constamment depuis la nuit des temps : le bocage breton n’a jamais été figé. Son évolution dans le temps est signe d’une bonne vitalité des territoires.

Parce que le paysage est une entité esthétique, les gens ne veulent pas que « leur » paysage change rapidement. « Car il rappelle leur enfance. Par exemple, les arbres que l’on garde isolés ont un aspect culturel : ils représentent une sorte de photo du passé, d’où un certain attachement », a expliqué David Montembault, spécialiste en lecture du paysage à Agrocampus Rennes, lors d’une conférence organisée par le Conseil général du Finistère. Pas étonnant donc que les remembrements massifs des années 60-70, en effaçant d’un coup de lame quelque 40 000 km de talus, ont laissé des traces indélébiles dans la mémoire collective.

L’élevage bovin à l’origine

Sans remonter aux premiers enclos protohistoriques et de l’Antiquité, la constitution du bocage est intimement liée au développement de l’élevage. Son objectif premier était de créer des limites parcellaires pour contenir les bovins. Les historiens fixent le point d’ancrage du bocage européen au sud de la Grande-Bretagne. Avant que cette invention ne traverse La Manche et conquière la Petite-Bretagne. La nôtre…

C’est l’époque aussi où les forêts appartenaient aux nobles. Les paysans qui n’ont pas accès à cette ressource plantent alors des forêts linéaires : les haies et les talus boisés qui fournissent nourriture et abri pour les animaux, fruits, bois d’œuvre et bois-énergie (l’histoire est un perpétuel recommencement…). Puis dans le prolongement, « la haie devient la marque de la clôture, de l’individualité ».

D’autres utilités modernes

Aujourd’hui, les utilités « modernes » du bocage sont radicalement différentes. Qui pense talus et haies, pense « érosion, régulation hydraulique », cite François Omnès, de la direction de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Plus récemment encore, les haies et talus se sont révélés être des refuges indispensables « pour les auxiliaires des cultures dans l’objectif de réduire les intrants et un habitat pour les pollinisateurs des plantes ». Enfin, quand on parle bocage, on parle aussi piégeage du carbone.

Plus surprenant, il s’avère que le rôle de régulation hydrique attribué aux haies ne se trouve pas seulement en sous-sol mais à la cime des arbres. « On a découvert assez tardivement que les arbres évaporent beaucoup. Cette fonction a un rôle dans la qualité de l’eau et la quantité », explique Philippe Merot, directeur de recherche à l’Inra de Rennes.

Cette fonction de régulation des arbres « recule d’un mois la saturation des sols ». Commentaire de ce chercheur rennais : « Pour les crues fréquentes qui ne causent pas de dégâts, le bocage est un facteur de régulation efficace ». En revanche, pour les crues rares – comme celles de 2014 – son efficacité est réduite. « Au-dessus d’un certain seuil de pluviosité, tout ruisselle. Certes, les talus parallèles aux courbes de niveau sont des ralentisseurs de ruissellement, mais ils sont surtout des barrières à l’érosion ».

Un rôle éprouvé

La haie permet de :

  • Diminuer de 30 à 50 % la vitesse du vent.
  • Réduire de 20 à 30 % l’évaporation en été.
  • Élever la température de l’air de 1 à 2°C en saison froide.
  • Procurer un meilleur rendement en amont des cultures et une meilleure production des élevages.

Aujourd’hui à la retraite un éleveur breton assurait récemment que « ses bovins à viande poussaient mieux dans les parcelles abritées que dans celles exposées au vent ». À chacun de vérifier…

Le bocage se compose et se recompose

Et demain ? Quelle sera la fonctionnalité des haies et des talus dans un territoire sociologiquement en rupture avec une société agricole qui s’est sérieusement éclaircie ?  Une certaine dualité peut s’exacerber entre des agriculteurs dont la terre est l’outil de travail et des néo-ruraux pour qui le paysage relève plus de l’aspect esthétique et culturel.

L’intelligence collective doit permettre de sortir par le haut de cette supposée opposition d’intérêts. « Protéger ne veut pas dire enfermer. Le bocage de demain ne sera pas celui d’aujourd’hui », résume Armelle Huruguen, vice-présidente du Conseil général du Finistère. Des propos partagés par Aude Pélichet, chargée de mission à la Dréal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) : « Le bocage se compose et se décompose dans le temps en tenant compte des impératifs économiques ». Une façon de dire qu’un paysage figé appartient aux natures mortes, autrement dit au désert humain. Ce n’est pas ce que souhaite la Bretagne. Didier Le Du

L’avis de Dominique Marguerie, Directeur de recherches au CNRS

Vu d’avion, on perçoit des formes d’enclos qui remontent à quelques siècles avant J.-C. et à l’Antiquité. Quand on reporte ces enclos sur le cadastre napoléonien, il apparaît une discordance avec le bocage d’aujourd’hui. Mais parfois, comme à Montours (35), il y a superposition entre la ferme rurale de l’âge du fer et le bocage moderne. Ce qui me fait dire que l’on a parfois un bocage dont les racines nous viennent de la nuit des temps.

Les données paléobotaniques nous donnent des renseignements sur l’évolution du paysage. Ainsi les diagrammes polliniques nous permettent de retrouver des indices de bocage. Tout comme le carottage de chênes émondés a permis de confirmer qu’autour de Rennes et Guingamp, les cycles d’émondage étaient de 9 à 12 ans dès les années 1410-1420.


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