Sur les quatre hectares de serres comme sur les cinquante hectares de plein champ, la saison bat son plein presque toute l’année. À l’EARL Quillévéré, exploitation familiale de Plouénan, le pic de travail s’étend néanmoins d’avril à octobre. Tomates, concombres, poivrons, aubergines, mais aussi choux-fleurs, brocolis, oignons ou potimarrons : « En bio, tout demande plus de main-d’œuvre », résume Thomas Quillévéré, l’un des trois associés. Avec sept salariés permanents, la ferme fait chaque année appel à une cinquantaine de saisonniers au pic de la saison. Mais depuis le Covid-19, recruter est devenu un casse-tête. « On a même pensé à diminuer voire arrêter quelques productions », reconnaît-il.
La pénurie de main-d’œuvre est un frein à nos productions et à leur développement
Différentes pistes testées
En 2021, l’exploitation tente l’insertion, avec Coallia ou encore l’ART du Pays de Morlaix. Deux jeunes sont accueillis. « L’initiative était bonne, mais faute de financement, l’accompagnement n’a pas duré. » Ensuite viennent les réseaux sociaux, l’Anefa. « Mais ils ne couvrent pas la totalité de nos besoins. Or, on a besoin de sécuriser nos productions. Quand la saison démarre, on ne peut pas s’arrêter. C’est le point névralgique de nos exploitations : la main-d’œuvre représente 40 % des coûts en légumes. Cette pénurie est un frein à nos productions et à leur développement. »
France Maroc Recrutement joue l’intermédiaire
Jusqu’ici, ils travaillaient avec des saisonniers de l’Union européenne. « Mais les candidats ne sont pas suffisants en nombre et certains ne sont pas suffisamment fiables ». C’est alors que la Sica de Saint-Pol-de-Léon approche France Maroc Recrutement (FMR), cabinet spécialisé dans les métiers en tension. Pour le secteur agricole, la structure sélectionne des travailleurs issus du monde rural marocain et les fait venir dans le cadre d’une convention bilatérale, pour des séjours de moins de six mois. « Ils ont ‘la main verte’ et apprennent très vite. La langue n’est pas un frein : ils observent énormément », note Thomas Quillévéré.
Seul bémol : il faut anticiper. « Quatre mois pour constituer les dossiers, c’est long, mais ça vaut le coup. » Premier à tester la formule en 2022 en tant qu’administrateur à la Sica, le producteur embauche aujourd’hui 36 salariés marocains, répartis en trois groupes sur l’année : 12 de janvier à juin, 12 de juillet à décembre et 12 de mai à octobre.

Fidèles au rendez-vous tous les ans
Payés au Smic, encadrés comme n’importe quel salarié selon le droit du travail français, ces travailleurs ont vite trouvé leur place. « Au début, on avait des appréhensions : culture, religion différentes… Mais tout s’est vite envolé. Ils sont souriants, travailleurs, parfois trop : ils ne sont pas habitués à nos journées salariées de sept heures ! À nous d’être vigilants, car ils ne se plaignent jamais. Ils ont peur de nous décevoir. » Les permanents ont rapidement adhéré, soulagés de partager un volume de travail devenu intenable. Et la fidélité est au rendez-vous : en trois ans, seuls trois saisonniers ne sont pas revenus. Reste à insister au quotidien sur les normes et les règles de sécurité. « Par exemple, le port de gants pour le chou-fleur : cela nous semble évident, pas forcément pour eux. Il faut répéter. C’est un travail réalisé collectivement sur la structure entre producteurs et permanents. »
Aujourd’hui, une quarantaine d’exploitations du Nord-Finistère ont recours à FM Recrutement, avec quatre à cinq salariés en moyenne. Elles seront une cinquantaine en 2026.
Carole David
Coût par salarié : 14,50 €/h net la première année (Smic + adhésion FM recrutement + frais de dossier) ; 13,40 € les années suivantes.
Loger les saisonniers, un défi permanent
Trouver un toit pour les saisonniers reste l’un des plus grands obstacles du maraîchage nord-finistérien. En zone littorale, production agricole et tourisme se disputent les mêmes logements, et les travailleurs venus de pays tiers peinent encore plus à accéder à des hébergements de courte durée chez les particuliers. Consciente du problème, la Sica de Saint-Pol-de-Léon a pris le sujet à bras-le-corps. Elle a d’abord rénové un ancien hôtel situé sur son site de Kérisnel, offrant 50 places. Aujourd’hui, elle met 82 lits à disposition de ses adhérents, répartis sur trois sites. Et l’ambition ne s’arrête pas là : d’ici 2027, la capacité devrait atteindre 144 lits répartis sur cinq implantations. Pour boucler la chaîne, les producteurs assurent la mobilité de leurs équipes avec des véhicules, indispensables pour assurer les déplacements quotidiens entre les hébergements et les exploitations et leur permettre de s’intégrer dans le territoire pendant leur mission, loin de leurs familles.
