Dans le sillon séculaire des talus bretons

Img 0450 - Illustration Dans le sillon séculaire des talus bretons
Et si les talus servaient de refuge aux lutins ?
Les premiers talus bretons datent de l’âge du fer. Mais l’apogée de leur édification se situe à l’époque des grands défrichements du Moyen Âge, puis de la conquête des champs ouverts au XIXe siècle.

L’édification des premiers « fossés » remonte aux temps préhistoriques. Fossé ? Une antiphrase qui, dans le langage populaire rural, agrège souvent la douve, le talus et la haie qui le surplombe. Ces trois éléments sont si indissociables que la langue bretonne leur consacre un seul terme usuel (Kleuz ou c’hleuz) pour désigner cette particularité topographique issue de la main de l’homme.

Alignés comme des mégalithes

[caption id=”attachment_51924″ align=”alignright” width=”289″]7588.hr Ce type de borne en granit servait à délimiter des bandes de terre dans les champs ouverts avant la construction des talus.[/caption]

Yann Brekilien, spécialiste de la Bretagne et des Celtes, observait que « les vieux champs clos sont très souvent rectangulaires et orientés perpendiculairement à la direction du soleil levant certains jours marquants de l’année : les mêmes jours qui sont indiqués par la direction des alignements mégalithiques (6 mai, 8 août, 8 novembre, 4 décembre et solstice d’été) ».
Entamée lors des grands déboisements consécutifs à l’expansion démographique du second âge de fer, la construction de talus se poursuit à l’époque gallo-romaine autour des centuriations, ces grands quadrilatères d’environ 700 m de côté, délimités par de grands fossés de drainage.

Au Moyen Âge, le régime agraire des abbayes médiévales efface partiellement les édifications antiques. Se développe alors un maillage de parcelles encloses (park, en breton) attenant à de vastes champs ouverts (maesoù, en breton). Au départ, il s’agit de haies, puis de haies plantées sur bas talus et faibles fossés qui évoluent dans le temps en talus et fossés plus importants. Une nouvelle extension du bocage a lieu sous l’Ancien Régime, pour reprendre après la Révolution avec l’appropriation des terres, notamment les vaines pâtures et landes ; des communs qui étaient jusqu’alors délimités par des bornes en granit plantées aux angles.

Différentes dimensions selon les secteurs

Matérialiser les limites : telle est l’une des premières fonctions du talus. Barrière physique, le talus est le symbole de l’esprit de propriété foncière. Ces remontées de terre sur des milliers de kilomètres en Bretagne s’apparentent quelque part aux colossaux travaux des pyramides d’Égypte. En tout cas bien loin de la douceur de Saint-Hernin laissant traîner son bâton pour délimiter son ermitage d’un fossé d’une demi-lieue en une journée.
Chaque secteur a sa méthode propre de construction des talus. Ainsi, la hauteur qui est d’un mètre dans le canton de Pleyben atteint 5 pieds (1,65 m) autour de Vannes et 1,80 m dans la région de Carhaix. Il existe quelquefois des talus séparatifs d’héritage, encore plus hauts et plus larges que ceux qui entourent seulement les champs. On en recense à Briec qui font 2 m de haut, et « il en est à Elliant de si larges qu’une charrette attelée pouvait circuler sur le sommet entre deux rangées d’arbres ».

[caption id=”attachment_51922″ align=”aligncenter” width=”720″]7587.hr Les talus en Bretagne, c’est une histoire 3 fois millénaire.[/caption]

Parquer les troupeaux

« Mais la protection des champs de hauts talus n’était pas uniquement un symbole. Le paysan avait besoin de ces talus », poursuit Yann Brekilien dans son ouvrage « Les paysans bretons au XIXe siècle ». C’est pourquoi les premières édifications ont clos les terres chaudes. L’objectif était souvent de parvenir à un îlot correspondant aux vieilles unités agraires « le journal » ou « an devez arat » en breton, ce qui correspond sensiblement à l’acre anglo-saxonne ou à l’arpent.
Dès le second âge du fer, le paysan a compris que le talus protège les cultures pour assurer l’alimentation d’une population en forte expansion démographique. Cet ouvrage est aussi utile pour parquer les troupeaux et protéger contre les animaux errants ; les talus étaient alors surmontés d’une « plesse » (tressage de ronces) à l’origine du nom de lieudit « Plessis ». Enfin, le talus a aussi pour fonction de donner du bois à un pays qui a perdu ses forêts suite aux défrichements. Voire cette surélévation de terre fait office de sentier quand les chemins creux se transforment en fondrière sous les pluies d’hiver.

Des climatiseurs à tout vent

Au fil du temps, la multiplication des talus sur le territoire dessine ce que l’on appelle le bocage. Une maille végétale qui a pour premier effet de réduire la vitesse du vent, particulièrement en Bretagne occidentale où les effets mécaniques sont parfois spectaculaires compte tenu du relief : en témoignent les arbres formés au sens du vent sur les collines.
Aujourd’hui, talus et haies viennent à la rescousse du réchauffement climatique. Ce rideau semi-perméable abaisse la température des champs de 1 à 2 °C grâce au phénomène naturel de l’évapotranspiration maintenue par temps chaud par les arbres qui puisent l’eau en profondeur. Une climatisation naturelle en somme…

Des « monuments » protégés

En Allemagne, Hitler avait déclaré la guerre aux talus afin d’augmenter les surfaces cultivables et de « gagner la bataille du blé ». Puis, vers la fin il fit volte-face. Les derniers talus du Schleswig – région dont le bocage ressemble étrangement à celui de la Bretagne – ou du Mecklembourg sont aujourd’hui protégés comme des monuments historiques.


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