L’eau, une commodité comme une autre ?

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Des quatre principaux produits agricoles commercialisés dans le monde, le maïs, le riz, le soja et le blé, ce dernier est le plus menacé par les pénuries d’eau.
Le 7 décembre 2020, l’eau est devenue un actif financier, au même titre que le maïs, le charbon, le cuivre ou le pétrole. Pour la première fois, ce bien commun peut être négocié sur le marché à terme du Chicago Mercantile Exchange.

NQH2O, c’est sous ce nom de code que le tout premier contrat réglementé et négocié de l’eau a vu le jour. Officiellement, il doit aider les agriculteurs, les municipalités et autres utilisateurs d’eau en Californie, à se protéger contre les fluctuations de prix de la ressource la plus précieuse du monde. Il pourrait également servir d’outil de gestion du risque pour les investisseurs face à la sécheresse et au changement climatique, à moins qu’il ne devienne un pur outil de spéculation !

Les USA, deuxième consommateur d’eau après la Chine

Si la planète est bel et bien bleue, 1 % seulement de l’eau est accessible pour les activités humaines. On sait qu’en Chine, de nombreux fleuves n’arrivent plus à la mer, ajoutant au manque de terres arables, une pression supplémentaire sur la sécurité alimentaire du pays. Les États-Unis sont les deuxièmes consommateurs d’eau, après l’empire du Milieu, avec 322 milliards de gallons (1 220 Md de litres) utilisés par jour. La Californie, troisième État par la taille mais premier par sa population, représente 9 % des besoins journaliers américains. 40 % de la consommation d’eau de cet État sont utilisés à des fins agricoles. En 2020, la Californie qui produit la moitié des fruits et légumes des USA, a de nouveau été ravagée par les flammes. 1,7 million d’hectares sont partis en fumée, surpassant tous les records établis. L’eau est donc un sujet brûlant sur lequel le Nasdaq s’est penché dès 2012. Chaque année, 4 % de l’eau californienne change de propriétaire par l’échange des titres de propriétés. C’est relativement peu (200 transactions), mais ce marché de l’eau représente plus d’un milliard de dollars par an rien que dans cet État. C’est sur cette base physique qu’a été créé l’indice NQH2O, qui suit le prix de l’eau et des droits à eau en Californie. Évalué à 371 $/acrefoot (1) en 2012, l’actif a été négocié 500 $, en ce début de mois sur le CME.

Gérer la rareté

Contrairement au marché du carbone, qui associe un coût au CO2 et vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre, ces contrats sur l’eau n’ont aucune intention environnementale. Ils ne cherchent ni à réduire la consommation de cette ressource, ni à éviter les pénuries ou à favoriser une meilleure répartition de son utilisation, mais à gérer sa rareté. L’eau passe du statut de ressource à celui de bien, se déconnectant du monde réel.

2/3 de la population confrontés à des pénuries d’eau

Certains estiment que ce contrat, très localisé, ne serait pas suffisamment liquide (!) pour attirer des investisseurs. Pourtant, on peut aisément imaginer que d’ici quelques années, le prix de l’eau vendue dans l’ensemble du monde par des multinationales soit indexé sur NQH2O. Car si une chose semble sûre, c’est que la pression va s’accentuer autour de ce bien. Selon un rapport de la FAO (2), les ressources en eau douce disponibles par personne ont diminué de plus de 20 % au cours des deux dernières décennies à l’échelle mondiale. Près des deux tiers de la population devraient être confrontés à des pénuries d’eau d’ici 2025 (demain !). Selon les données d’Aqueduct Food, la quantité de production agricole confrontée à une variabilité saisonnière élevée et extrêmement élevée de l’approvisionnement en eau, va plus que quadrupler entre 2010 et 2040 dans un scénario de statu quo. Des quatre principaux produits agricoles commercialisés dans le monde, le maïs, le riz, le soja et le blé, ce dernier est le plus menacé par les pénuries d’eau.

Risque d’une flambée des prix ?

Le risque est bel et bien de voir le prix de l’eau s’envoler, car il n’existe pas de force de rappel sur ce genre de produits. La théorie économique suppose qu’un excès de demande qui conduirait à des prix très élevés, devrait être compensé par une augmentation de l’offre. Mais, l’eau provient des nappes phréatiques et des précipitations. Dans le premier cas, le marché physique de l’eau est essentiellement un marché de droits à pomper de l’eau, vendus à des agriculteurs et des municipalités. Une mauvaise idée vue la vitesse à laquelle s’épuisent les nappes phréatiques aux USA. Pour la seconde option, les prières et les incantations ne sont pas d’une efficacité à toutes épreuves !

(1) Un acrefoot est le volume nécessaire pour recouvrir un acre (0,4 ha) sur une hauteur d’un pied (30 cm).
(2) The state of food and agriculture (SOFA) 2020

L'aquifère Ogallala s’épuise

L’aquifère d’Ogallala est l’une des plus grandes sources d’eau souterraine du monde, s’étendant sur 450 000 km2 sous huit États américains des plaines centrales qui produisent un quart des cultures du pays et rapportent 35 milliards de dollars chaque année. En un siècle, les agriculteurs y ont drainé l’équivalent des deux tiers du lac Erié, épuisant la ressource. Les subventions agricoles massives du gouvernement (multipliées par 5 en 2020) créent un cercle vicieux de surproduction qui intensifie l’utilisation de l’eau.

Diversification

Alors que le marché obligataire semble entré en léthargie pour un moment, les investisseurs voient le marché des commodités comme une source de diversification prometteuse de leurs actifs. Cela n’a pas échappé à Michael Burry, gérant d’un fond d’investissement rendu célèbre par le livre de Michael Lewis « Le casse du siècle », dont est tiré le savoureux film « The big short ». Après avoir fait fortune en anticipant l’effondrement du marché immobilier en 2008, il a concentré ses investissements sur l’eau en investissant dans des exploitations agricoles disposant de réserves hydriques.


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