Frémissement sur la poudre de lait

La Commission européenne tente depuis des mois de commercialiser ses encombrants stocks de poudre à l’intervention. Une fenêtre semble s’ouvrir.

« On observe depuis quelques semaines un léger frémissement sur les poudres », résument des observateurs du marché laitier. D’une part, la demande en protéine laitière est assez dynamique. D’autre part, la tendance est à la baisse de volume au niveau mondial : en Nouvelle-Zélande, la production est en recul (difficultés climatiques…) ces dernières années ; en Europe, après un pic de collecte écrêté (hiver long, manque de fourrages…), on glisse doucement vers le creux estival… « Les acheteurs commencent à se dire qu’il va falloir trouver de la poudre. » Conjoncture enfin favorable pour la Commission européenne qui cherche à se débarrasser de ses stocks depuis 18 mois. En effet, au 1er avril 2018, elle était en possession de 370 000 t de poudre de lait écrémé au titre de l’intervention, un héritage pesant de la crise de 2016 aux multiples causes (surproduction à la sortie des quotas, perte de débouchés liée à l’embargo russe…).

42 000 t vendues en mai

José Jaglin, responsable lait pour JA des Côtes d’Armor, décortique la difficulté d’écouler ces réserves : « Les acheteurs préfèrent évidemment la poudre fraîche, disponible et de qualité, à celle du stock européen qui commence à avoir de l’âge. C’est le jeu du commerce. Le cours de cette commodité reste donc très bas pénalisant la valorisation du couple beurre – poudre avec un impact négatif sur le prix au producteur. » Cependant, Mélanie Richard, économiste à l’Institut de l’élevage, voit poindre une lueur d’espoir : « De janvier à mars, la Commission peinait à commercialiser cette poudre stockée. Mais en avril, elle est parvenue à vendre 24 000 t à 1 051 € / t, un peu en dessous du prix du marché. Ce mois de mai, 42 000 t seraient sorties à 1 150 € / t. »

Pesant sur le marché

Un signe encourageant alors que ces stocks stressent depuis longtemps les acteurs de l’amont. « Vous savez combien cette poudre pèse sur les prix européens actuellement ? Ailleurs dans le monde, la situation est meilleure », avait lancé le député européen Michel Dantin en février, à Rennes, pour l’assemblée générale de l’AOP Grand Ouest. Avant, pourtant, de regretter, la décision de l’Europe de ne plus avoir recours à l’intervention, « cet outil qui peut être utile », pour la campagne 2018 – 2019 (voir encadré). Quelques semaines plus tard, Michel Nallet, du groupe Lactalis, enfonçait le clou au Congrès de la FNPL à Vannes (56) : « Le prix de la protéine est une véritable catastrophe. Le marché suit dangereusement le prix des dernières adjudications européennes… » Avant que le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travers, lui emboîte le pas en parlant de « l’infléchissement du marché » sous le poids de ce stock public « à écouler ».

« Ces stocks sont les nôtres »

Interpellée sur la question à chacune de ses interventions, Brigitte Misonne, de la Direction générale de l’agriculture à la Commission européenne, apporte un autre éclairage. « En termes de stock à l’intervention, 370 000 t de poudre, ce n’est pas inconcevable dans le contexte historique. Ces stocks, ce sont les nôtres, assumons-les. D’ailleurs, la France est le plus grand pays contributeur avec 72 000 t (voir ci-contre). Arrêtez de dire que cela pèse sur le marché : en 2017, les exportations européennes de poudre de lait écrémé ont augmenté. Il y a une demande. Et en attendant d’être vendu, la qualité du produit dans les entrepôts ne se dégrade pas », expliquait-elle en février à Rennes. « Ces stocks trouveront un jour un acheteur mais la Commission ne déstockera pas à vil prix. »  L’heure a peut-être sonné. « Si la Commission réussit à déstocker à coup de 40 000 t par adjudication, le stock de poudre va fondre rapidement. Avec une demande dynamique sur la protéine et un cours de la matière grasse laitière qui devrait être soutenu pendant les prochains mois, la valorisation beurre – poudre devrait naturellement progresser », imagine un syndicaliste.

L’intervention désactivée

Fin janvier, le Conseil des ministres européen a décidé qu’il n’y aurait pas d’achat automatique de volumes pour la campagne laitière débutée au 1er avril. « Le mécanisme d’intervention est désactivé », explique Mélanie Richard à l’Institut de l’élevage. « Sans aucune possibilité à l’intervention, le risque est que les industriels produisent du beurre, très demandé, et conjointement de la poudre orientée vers un stockage privé qu’ils feront financer par les producteurs eux-mêmes en amputant le prix du lait », s’inquiète Véronique Le Floc’h, secrétaire générale de la Coordination rurale. Pour elle, la solution est simple : « On ne doit pas produire plus que le marché n’a besoin. Et pour autant, il est nécessaire de disposer d’un filet de sécurité efficace en remontant le seuil de déclenchement de l’intervention. »

[caption id=”attachment_35091″ align=”alignright” width=”177″]FrédériC David, administrateur FRSEAO et FNPL FrédériC David, administrateur FRSEAO et FNPL[/caption]

Éviter le stockage privé

La spéculation sur les stocks à l’intervention maintient un prix du lait insuffisant, pas à la hauteur des indicateurs : cette poudre qui n’a pas de marché est le premier argument des industriels pour justifier de ne pas augmenter nos paies. Pourtant, sur le marché de la poudre fraîche, l’offre et la demande sont à l’équilibre. Le beurre repart à la hausse. Les cours des Produits de grande consommation (PGC) sur le marché intérieur et le grand export sont dynamiques. Alors pourquoi ne sommes-nous pas mieux payés ? L’Europe commence à commercialiser ses stocks et a annoncé qu’elle n’achèterait plus de poudre. J’appelle à la discipline industrielle dans la gestion des volumes, au sein des entreprises privées et coopératives, pour produire en fonction des débouchés et éviter trop de stockage privé.Frédéric David, administrateur FRSEAO et FNPL


Fermer l'écran superposé de recherche

Rechercher un article