La numérisation entraîne des changements profonds dans le travail. Les nouveaux outils permettent aux agriculteurs d’être plus précis, plus réactifs, plus performants, mais sont encore loin de pouvoir remplacer leur regard global…
Comment sera mon métier dans 10 ans, 20 ans ? À l’heure du numérique, chacun se pose la question, parfois même se demande s’il aura toujours un travail ou si celui-ci sera réalisé par des machines, des robots ? La peur de devenir un simple exécutant, de perdre le sens de son métier rode… Les agriculteurs n’échappent pas à ces interrogations. Depuis plusieurs années pourtant, ils ont pris le virage des nouvelles technologies qui ont déjà transformé leur métier. Le pilotage du climat des serres, les robots de traite, d’alimentation, de désherbage, le guidage des tracteurs sont des exemples bien concrets des transformations engagées dans les campagnes françaises.
Aujourd’hui, les premiers tracteurs autonomes voient le jour, freinés en France par la réglementation (car la question de la responsabilité du matériel se pose). Bientôt, les maladies respiratoires des animaux pourront être détectées grâce à des capteurs sonores qui enverront des alarmes aux éleveurs, l’état corporel sera numérisé chez les bovins. On peut aussi imaginer dans un avenir proche des robots qui récolteront les légumes au stade optimal.
Garder un œil « techno-critique »
« Ces outils peuvent nous libérer de tâches pénibles mais nous devons toujours garder un œil critique vis-à-vis d’eux, bien percevoir leurs bénéfices. Le risque est qu’ils réduisent notre travail à de la maintenance ou du monitoring. Ou au contraire, le flux continu de données, l’intensification du temps de travail pourrait faire perdre pied », a déclaré Vincent Guérin, docteur en histoire contemporaine, à l’occasion des Rendez-vous de l’agriculture connectée, le 26 octobre à l’Esa (Ecole supérieure d’agriculture) d’Angers.
« Chez les maraîchers, les outils de pilotage de l’irrigation, de la ventilation, du tri sont déjà nombreux. Chacun d’entre eux a mis plusieurs années à se mettre en place. Du côté des capteurs, l’olfactif peut être une piste pour demain notamment pour la détection des maladies. La limitation des phytosanitaires à des frappes chirurgicales en tout début de maladie est un enjeu », souligne Philippe Retière, président de la Fédération des maraîchers nantais.
Suite à une étude réalisée chez des éleveurs d’Auvergne et de Bretagne, Nathalie Hostiou, zootechnicienne, précise que le gain de temps n’est pas forcément la motivation première pour s’équiper. « Chez la plupart des éleveurs laitiers, le choix d’un robot de traite a été fait lors du départ de main-d’œuvre sur l’exploitation, plutôt que d’embaucher un salarié. »
Davantage de charge mentale ?
Avec les nouveaux outils, est-ce que la charge mentale ne devient pas plus importante ? « C’est lié à l’individu. La détection des chaleurs peut par exemple réduire le stress chez certains. D’autres vivent mal le fait de pouvoir être alertés à tout moment du jour ou de la nuit, ils sentent davantage de dépendance à la ferme. La crainte des pannes peut parfois les faire revenir en arrière. » Il a aussi été calculé que seulement 3 % des données issues des capteurs sont mobilisées. « Les éleveurs apprennent à les utiliser progressivement. »
La « super-intelligence » encore loin
Au niveau des entrepreneurs des territoires (EDT), les fortes évolutions technologiques ont amené à un changement sur les profils recrutés. « Aujourd’hui, nous embauchons pour moitié des Bac pro et pour moitié des BTS. Mais surtout, nous organisons des formations en continu. Nous avons besoin de salariés qui analysent. Et nous apprenons aussi à nos chauffeurs à ne pas faire trop confiance aux capteurs, à rester vigilants… », explique Freddy Bodin, directeur de la Fédération des EDT des Pays de la Loire.
[caption id=”attachment_25993″ align=”alignright” width=”183″] Christiane Lambert, FNSEA[/caption]
Rester maître de ces outils
Les nouvelles technologies peuvent alléger l’astreinte, réduire la pénibilité du travail et aider les agriculteurs à répondre aux attentes des marchés aujourd’hui différentes. Elles peuvent aussi attirer davantage les jeunes. Elles font le lien entre modernité et tradition. Mais l’homme doit rester maître de ces nouveaux outils et être accompagné pour les utiliser au mieux. Concernant les multiples données collectées, l’usage est plus important que la propriété. Mais nous travaillons sur une charte pour renforcer notamment la transparence et la sécurité.Christiane Lambert, présidente de la FNSEA