Île Béniguet (29)
Nous sommes dans une salle de travaux pratiques à l’Institut universitaire européen de la mer de Brest (29), endroit où des étudiants travaillent consciencieusement par binôme. Ici, les brosses récurent, on manipule et on trie avec attention des objets d’un autre temps. Sous l’œil d’Yvan Pailler, archéologue, ils répertorient avec soin le fruit de leur travail de l’été dernier : la fouille de niveaux coquilliers (dépotoirs riches en coquilles) datés du Néolithique et de l’âge du Bronze située sur Béniguet, petite île se trouvant à quelques encablures du Conquet (29). Cette fouille a été réalisée en août dernier, dans ce site protégé de la réserve naturelle nationale d’Iroise gérée par le Parc naturel marin d’Iroise. 90 caisses de sédiments ont été ramenées, avec en majorité des coquilles de patelles, des restes de moules, de monodontes, de coquilles Saint-Jacques, d’ormeaux, d’oursins, de crabes…, consommés à l’époque, mais aussi des morceaux de terre cuite ou quelques outils de débitage type pierres taillées ou grattoirs, ou encore des os de porc, de bœuf, de mouton et de chèvre, restes de repas. Car oui, ce petit caillou au sortir du goulet de Brest n’était pas seulement habité il y a 5 millénaires, il accueillait des animaux élevés pour leur viande et leur lait. Les chercheurs ont démarré leurs travaux sur l’île en 2021, ils espèrent les achever en 2028.
La vache sait nager
Depuis le Néolithique, le niveau de la mer est remonté, les estrans étaient plus étendus. À l’âge du Bronze ancien, les hommes utilisaient des bateaux à planches cousues mais aussi des pirogues monoxyles ou des curraghs (bateau léger à peau de cuir en Irlande). Ces dernières embarcations allaient très bien dans les fleuves, un peu moins en pleine mer… mais elles pouvaient suffire pour traverser le Four à l’étale. Ce petit chenal entre Le Conquet et l’île pouvait être emprunté, avec à son bord des animaux. « Les données ethnographiques montrent que les animaux pouvaient être entravés sur le bateau ou nager derrière ». Une fois cet exercice maritime effectué, la vache retrouvait la terre ferme… sur l’île.
Le chenal était emprunté avec des animaux dans le bateau
Concernant les mÅ“urs alimentaires, Yvan Pailler a retrouvé dans ces fouilles des patelles noircies. « Ce peut être des coquilles simplement jetées au feu, mais il s’agit sans doute d’un mode de cuisson : les patelles étaient posées sur la braise avant d’être consommées ». Et leur taille renseigne sur la saison, car la patelle fabrique un cercle de coquille régulièrement, elle grandit plus vite en été. À la manière d’un d’arbre coupé qui présente des cernes de croissance sur sa souche, on peut ainsi définir si la patelle a été consommée plutôt en été ou en hiver. « Ils en consommaient toute l’année, mais surtout en fin d’hiver et au début du printemps, quand les autres stocks avaient fondu ». L’archéologue fait remarquer que dans les couches de l’âge du Bronze, « plus on se rapproche d’une période proche de nous, plus on remarque que la taille des patelles diminue, ce qui peut s’expliquer par une pression de pêche plus importante ».
Surproduction de lait
Avec ses 2,5 km de long pour 300 m de large, l’île Béniguet « est un confetti dans la mer, il y avait forcément des liens entretenus avec le continent proche et les autres îles de l’archipel. Aussi, l’archipel de Molène devait être une zone de contact pour les navigateurs qui faisaient le voyage entre la péninsule Ibérique et le Nord de l’Europe, Béniguet était un passage obligé pour effectuer des escales techniques et des échanges ». Des fouilles sur l’île voisine, Molène, ont mis en évidence que seuls les os de la tête des gros individus de daurades royales et des bars étaient présents sur le site, ce qui indique que le reste du poisson était consommé ailleurs. On imagine qu’il a pu être séché, puis échangé.
Dans les restes de céramique, des lipides ont été enfermés depuis des milliers d’années et montrent essentiellement des graisses de ruminants et de produits laitiers. « On a remarqué que les agneaux étaient abattus très jeunes, pour avoir de la viande tendre mais surtout pour garder le lait de leur mère. L’élevage des moutons était donc tourné vers une surproduction de lait à Molène, ce qui pourrait indiquer la production de fromages, qui ont pu être échangés ».
Au niveau agricole, les chercheurs peuvent retrouver des traces de labour et les graines des plantes cultivées. « Les anciens dépotoirs conservent des traces d’araire. Les habitants de l’île avaient compris que dans ces endroits, les cultures poussaient plus dru. C’est de l’observation que naît la connaissance ». Grâce à ces recherches scientifiques, les hypothèses levées et les conclusions que l’on en tire nous montrent que pour cette période, si lointaine et en même temps si proche de nous, les choses primaires n’ont pas beaucoup changé. Ces fouilles sont de véritables photographies d’instants passés. « On retrouve de gros amas, comprenant des coquillages, beaucoup d’os d’animaux : ils sont le relief d’un repas pris un jour en communauté ». Naissance d’un enfant ? Cérémonie ? À chacun d’imaginer son histoire.
Fanch Paranthoën
Une île bénie ?
Des documents de la fin du XVIe siècle font mention de cette île « beniguet », en breton île bénie. Les débats sont encore ouverts sur l’origine de ce nom. Il pourrait aussi s’agir d’une erreur de retranscription : était-ce l’île Breniguet, de Bren, tertre ? Dans tous les cas, ces deux noms lui vont à ravir.
