19601.hr - Illustration Un colosse au pied breton
Le granite de Laber sur les bords de l’aber Ildut (29)

Un colosse au pied breton

C’est sur un support de granite de 200 tonnes, provenant du Finistère, que repose l’Obélisque parisien, place de la Concorde.

La côte bretonne et ses rochers. Rien d’original à première vue. Et pourtant, sous les rafales de la tempête Nelson, jeudi 28 mars, comme surgie du sol, une gigantesque forme parallélépipédique de granite sur les bords de l’aber à Lanildut (29) reste immuable et garde fière allure. Sous la brume et les embruns ressortent ses teintes rosées à faire pâlir les roches du département voisin. À côté, un trou béant, envahi par la mer à marée haute, laisse imaginer l’importance du site de la carrière de Cleguer. Son nom sur mesure provient du breton : ‘Ar C’Hleger’ ou autrement dit masse rocheuse. 

Un des plus beaux granites de France 

Aux dire des Lanildutiens, « c’est un des plus beaux granites de France » que l’on peut admirer dans l’Aber mais également sur le piédestal de l’obélisque sur la place de la Concorde à Paris. « En tout cas, en montant à la capitale, il a acquis ses lettres de noblesse au XIXe siècle », ajoute Gérard Million, bénévole de l’association internationale ‘Greeters’(1). Alors, pour ne pas oublier cette période de l’âge d’or de l’extraction de cette matière première qui a rassemblé au summum de son activité près de 350 tailleurs de pierre sur les 1 250 âmes du village à l’époque, une réplique en réduction au 1/7e de l’obélisque de la Concorde a été dressée en 2015 près du port. 

Le granite a acquis ses lettres de noblesse en montant à la capitale.

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Sur le chantier se côtoyaient plusieurs métiers : le carrier qui extrayait les blocs, le fendeur qui le mettait en forme puis le tailleur de pierre (‘piker mean’ en breton) qui en assurait la finition. Sans oublier la présence des forgerons qui devaient continuellement retremper les outils.

De la pierre de Rosette aux carrières de Cleguer

Pour l’histoire, en 1829, le Sultan Méhémet Ali, vice-roi d’Égypte, offre à Louis Philippe deux obélisques qui encadraient l’entrée du temple de Louxor, pour remercier la France qui avait permis de décrypter les hiéroglyphes grâce aux travaux de Champollion. Un seul des 2 monuments de 23 m de long et 230 t est parvenu à destination, par voie maritime, après construction à cet effet d’une barge nommée ‘Le Louxor’, remorquée par le Sphinx, premier navire à vapeur de la marine française. Sauf que, pour Paris, le piédestal original était trop petit pour éviter que le public ne dégrade les hiéroglyphes et son ornement jugé obscène(2). « Il fallait donc lui trouver un nouveau socle pour lui donner de l’éclat : le choix s’est porté sur le ‘granite de Laber’, pour sa dureté, ses capacités à être poli et son esthétique porphyroïde (tachetée) proche du granite d’Assouan ». Les représentations de cette période permettent d’assurer que « ce bloc de 200 t – pour le piédestal – proviendrait de l’anse Stivel, le long du GR 34. Les autres pièces sont issues de 4 autres carrières dont celle du Cleguer ». Pour embarquer un tel ensemble, la coque du Louxor a de nouveau été sollicitée : elle a été sciée à l’avant pour y déposer l’élément avant d’être reconstruite par les charpentiers de Marine ; un ber de 60 m de long a aussi été construit sur l’estran. Et comme il a fallu 7 ans pour ériger ce premier Obélisque, et par mesure d’économie, le second projet a été remis aux calendes grecques… puis oublié, avant qu’il ne soit officiellement rendu à l’Égypte en 1981, sans jamais l’avoir quitté…

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Les pierres étaient rarement exportées brutes mais travaillées sur place, ce que démontre l’épaisseur de la couche de déchets de taille.

L’activité s’éteint au XXe siècle

De ces nombreuses carrières sur le littoral, confiées par concessions de 20 ans par le domaine public maritime, la pierre était extraite par barre à mine, coin et marteau, en faisant des entailles tous les 10 à 15 cm en suivant si possible le filon. Des stigmates marquent encore les rochers. Des coins de fer introduits à coups de masse permettaient de détacher le bloc et de le travailler sur place. Puis il était conduit ensuite, par rails et wagonnets, vers le pont de bois appelé « pont combarelle » dans la calle à l’embouchure de l’aber. Les bateaux se glissaient dessous et il suffisait d’y laisser « tomber » la pierre. Au XVIIIe siècle, ce port de commerce de Lanildut (alors dénommé ‘Aber-Ildut’ et situé dans la paroisse de Porspoder) était l’un des plus importants du Léon. Les maîtres de barques y étaient nombreux, habitant notamment à Rumorvan dont les manoirs témoignent encore de la prospérité de l’activité. Si la mer était la voie royale pour exporter ces granites, des voituriers et paysans assuraient aussi l’acheminement par la route. La production s’est arrêtée au cours du XXe siècle avec l’avènement du béton vite adulé. 

Un granite porphyroïde rose

Ce granite de l’aber Ildut, dit « granite de Laber » provient d’un pluton (massif cristallin) qui affleure de l’île Ségal au sud jusqu’à Porspoder au nord et jusqu’à Plouguin au nord-est. Le magma s’est formé à 4 000 m sous terre il y a environ 300 millions d’années et a refroidi très lentement permettant aux éléments de s’agréger et de lui confier son faciès particulier, avec de gros cristaux de feldspath rose et des paillettes de mica noir. Il renferme aussi des enclaves oblongues gris-noir nommées « crapauds » : inclusions de pierre pauvre en silice. Ce granite a la caractéristique d’être très dur et facile à être poli.

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Un granite porphyroïde rose

(1) Les Greeters sont des bénévoles qui assurent le rôle de guide pour faire découvrir leur ville ou leur région. (https://greeters.fr/)
(2) L’original du piédestal est présenté au musée du Louvre.


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