Il faut attendre le tout dernier moment, après un ultime rond-point comme on en trouve partout à la sortie des villes, pour découvrir la ferme du Pont-Grossard, à Lamballe. C’est sur ces terres familiales qui s’étendent sur 120 hectares que Christian Colas développe une exploitation porcine (180 truies sur paille) et de viande bovine (35 vaches de race Angus).
C’est surtout le volet culture qui trinque
Comme ses collègues, il a pu mesurer l’impact du changement climatique au cours des dernières décennies. « Les périodes prolongées de climat sec ou très humides occasionnent des complications dans la gestion des cultures et de l’élevage. L’activité porcs est un peu moins impactée car pour l’instant, les épisodes de forte chaleur sont limités dans le temps. Mais c’est surtout le volet culture qui trinque. La partie production fourragère pour les bovins est directement impactée, nous devons constituer des niveaux de stocks importants pour faire face aux éventuelles pénuries », explique-t-il dans le dernier épisode du podcast Chaleur Sensible (*). Une contrainte d’autant plus forte que les surfaces de terres à proximité des stabulations ont progressivement été réduites avec la construction des lotissements et du collège voisins. « Surtout, les nombreuses routes et rocades autour de la ferme ne nous permettent plus de faire parcourir les troupeaux d’une parcelle à l’autre. Nous avons donc été obligés de constituer des stocks pour l’alimentation de nos animaux », note-t-il.
Culture bocagère
Il a développé une réelle culture bocagère, à la suite d’échanges constructifs avec son conseiller sylviculture de l’association Terres et Bocages. « Dans cette démarche, les agriculteurs sont directement acteurs de l’activité de plantation et d’entretien des haies. Ce qui me plaît, c’est de façonner le paysage », souligne Christian Colas. Une approche saluée par Laurence Ligneau, chargée de mission climat-carbone à la Chambre d’Agriculture de Bretagne. « La haie bocagère apporte un microclimat sur la parcelle et permet de corriger les excès de chaleur et de froid. C’est intéressant lorsqu’il y a des animaux dans les parcelles, mais aussi pour les cultures. L’arbre, c’est la photosynthèse qui capte le carbone de l’atmosphère et qui enrichit le sol en carbone à proximité de la haie », explique-t-elle.
Sols fertiles et non-labour
La ferme du Pont-Grossard travaille à la valorisation des haies, pour renforcer la fertilité et la qualité des sols. « Plutôt que de brûler les branches issues de cet entretien, nous avons choisi de les broyer, de les incorporer dans les litières des stabulations, et ainsi de réintroduire le concept du champignon dans la matière organique. Ces mycorhizes sont au cœur du bon fonctionnement des sols, et cela permet de stocker du carbone. Je réinjecte le carbone des arbres dans mon sol, et j’améliore aussi la qualité de mes effluents organiques, notamment le fumier, avec la mise en place d’une nouvelle technique de stockage avec l’intégration de plaquettes de bois pour éviter le rejet d’ammoniac », détaille Christian Colas, visiblement satisfait de l’efficacité de ces pratiques agrobiologiques.
Il a également opté pour le non-labour, afin de redonner de la porosité aux sols. « Nos sols vont de mieux en mieux ! L’exploitation étant en proximité d’une rivière, j’ai l’habitude d’aller observer la couleur de l’eau après un épisode pluvieux : l’eau qui sort de mes champs reste limpide, elle ne charroie pas de limon », se félicite l’agriculteur costarmoricain.
Dans ses champs poussent de la luzerne, de la fétuque… « La luzerne continue à produire durant les périodes estivales, cela conserve des zones vertes favorables à l’évapotranspiration et donc à l’humidification des sols. La fétuque, je l’ai choisie au départ car elle apporte une résistance à l’excès d’eau dans les sols, mais c’est une graminée qui résiste aussi aux périodes de sécheresse. Désormais, j’observe la disparition progressive des mouillères dans les parcelles », se félicite l’agriculteur.
Adepte du temps long
Alors que son fils l’a rejoint pour travailler sur l’exploitation, il a délibérément inscrit son action dans la longue durée. « Ce ne sont pas des modifications dont il faut attendre les fruits dans les cinq ans qui suivent car il y aura de grosses déceptions. On ne modifie pas des caractéristiques d’un sol en claquant des doigts ! Il faut des années, de l’investissement, et surtout du respect. Si l’année ne permet pas de semer telle ou telle culture, il n’y a aucune raison de s’acharner à vouloir le faire. Avec les épisodes pluvieux qui peuvent arriver à des périodes de semis, il faut savoir attendre le bon moment pour faire ces interventions, et les passages en force se payent cash à chaque fois », conclut-il, philosophe.
Xavier Debontride
(*) Chaleur sensible, le podcast de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique, est produit par la Chambre d’agriculture de Bretagne, avec le soutien de Groupama Loire Bretagne.
En savoir plus : Pour écouter l’intégralité du témoignage de Christian Colas, cliquer ici