6938.hr - Illustration Que de paradoxes alimentaires !
Le cerveau humain est programmé pour le plaisir immédiat plus que pour le bien futur (santé, climat…). Il perçoit le coût du changement plus que le gain potentiel.

Que de paradoxes alimentaires !

Qu’il est compliqué de comprendre les attitudes de consommation des Français ! Ils veulent tout et souvent le contraire. Du haut de gamme, mais pas cher. Des aliments santé mais aussi plaisir ; parfois dans la même journée…

La volonté réelle de manger mieux se heurte aux habitudes. Celle de changer de magasin ou de réseau de distribution. Celle de renoncer à certains plaisirs et surtout celle d’acheter au moins cher. La tendance de consommation est plutôt à l’inertie. Frédéric Nicolas*, de l’IRI, qui étudie les comportements d’achat, souligne les paradoxes qui caractérisent les actes de consommation des Français. « Depuis la fin du confinement, les préoccupations économiques sont plus fortes. La pauvreté et le chômage se sont accrus. Certaines personnes ont des problèmes d’argent et d’autres ont peur d’en avoir. La volonté de mieux consommer, de bien manger, a fondu en raison du pouvoir d’achat ». Le prix reste le premier critère de choix des produits, loin devant l’origine géographique qui est pourtant un marqueur du « bien consommer ». « La volonté de mieux manger et les difficultés à le faire créent une tension. Le consommateur la gère en recherchant les promotions. Ils sont persuadés d’y trouver à la fois la qualité et l’économie. Ils ont également recours aux marques de distributeurs ».

Du plaisir

Les notions de santé et de plaisir ne sont pas censées faire bon ménage. Celles de naturalité et de gourmandise non plus. Et pourtant. « Chez la même personne, en fonction du moment de la journée ou de la période, on observe des différences marquées de comportement. Le plaisir de l’apéro du week-end où tout est permis (produits gras, salés…) tranche avec la sobriété de la semaine où les produits santé priment ». 27 % des personnes qui utilisaient l’application Yucca, donnant des notes aux produits alimentaires en fonction de sa composition, ont abandonné en 2020. « Ils veulent du plaisir et ont mis les contraintes de côté », assure le spécialiste. L’étiquetage Nutri-Score pourrait lasser, de la même manière.

Moins de viande ?

38 % des Français se disent flexitariens, la nouvelle tendance à la mode. Surtout les plus jeunes. Ils assurent consommer moins de viande. La réalité est tout autre, si l’on en croit les enquêtes de l’IRAI. « La place de la protéine animale reste fondamentale, surtout depuis le confinement. Au premier semestre 2020, les ventes de poisson ont augmenté de 6 % ; celles de viandes de 7 % ». En 2016, les plus grands consommateurs de viande étaient les 18-24 ans, accros aux hamburgers et aux kebabs. Les catégories socio-professionnelles les plus aisées se gargarisent de manger moins de viande, de consommer bio et local, pour des raisons écologiques. Là encore, le paradoxe est fort. Selon une enquête du Credoc, elles ont, de loin, l’empreinte carbone la plus élevée, trahies par leur âme voyageuse.

Ventes à la ferme

Le dilemme est le même en cuisine. Pendant le confinement, les Français se sont remis aux fourneaux. On ne les reprendrait plus à acheter des plats préparés. Le désir se heurte à la réalité. « Cuisiner est trop chronophage. Les gens n’ont pas d’idée de repas, ne savent pas cuisiner les légumes et le plaisir dépend de la variété des menus ». Retour à la case départ, dans les rayons des plats cuisinés. Les trois repas par jour sont progressivement abandonnés au profit du grignotage. Pour compenser, les jeûnes font recette… Le déconfinement a permis aux Français de découvrir de nouveaux circuits de distribution. Les ventes à la ferme ont progressé, les magasins bio et les épiceries de quartier ont tiré leur épingle du jeu. L’étrange rapport amour-haine qui qualifie la relation des consommateurs à l’hypermarché s’est renforcé. L’avenir nous dira s’ils ont conservé leurs nouveaux réseaux d’achat ou s’ils fréquentent, comme avant, la grande distribution qui s’adapte, elle aussi, aux attentes des consommateurs. Car, « il faut regarder ce que les gens font, pas ce qu’ils disent », assure l’analyste. Pour autant, il ne faudrait pas sous-estimer ce qui se passe dans leurs têtes. Bernard Laurent
* Intervenant à la 4e édition du Meatlab Charal sur le « consommateur et son assiette »

J’existe, je me différencie !

Manger est un moyen de s’affirmer. J’existe ; je me différencie ! D’où les régimes, les jeûnes, le véganisme, le « sans » qui oublie la notion de plaisir. L’alimentation n’a pas seulement une fonction nutritionnelle. Elle renvoie à des notions de plaisir, de partage ; elle a une valeur symbolique. Il faut lutter contre la « scanérisation » de l’aliment, c’est-à-dire l’analyse, en détail, de sa composition car c’est surtout la fréquence de consommation qui peut poser problème. Un paquet de chips, mal noté au Nutri-Score, n’est pas mauvais s’il n’y a pas d’abus. D’une manière générale, il faudra manger un peu moins de viande, de plats transformés, accroître la saveur des fruits et des légumes et partager les repas ; manger ensemble est très important.Dr Arnaud Cocaul, Nutritionniste


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