Un récit

Toute civilisation, toute société, se construit sur un récit. Une personne, un groupe, raconte une belle histoire et entraîne les masses dans son sillage. Tant que le récit fait rêver, le peuple adhère. C’est ainsi que, sans ferveur religieuse médiévale il n’y eu point de cathédrales ; sans promesse de victoire rapide sur le front, les soldats de 14 ne partirent pas la fleur au fusil ; sans promesse de vie meilleure à la campagne, il n’y eu point d’essor du « modèle agricole breton » auquel les paysans bretons ont massivement adhéré dans les années 60. Encouragés par la Jac, accompagnés par les groupes de vulgarisation, les paysans ont profité du progrès technique pour tendre vers plus de mieux-être. L’enthousiasme des uns suscitant l’émulation chez les autres.

Le chemin parcouru en six décennies s’est fait avec d’autant plus d’allégresse que l’environnement social des paysans était essentiellement agricole. Les frères et sœurs, les oncles et tantes, les voisins et voisines étaient majoritairement agriculteurs. Les projets des uns étaient les histoires des autres. Fallait-il travailler tous les jours de la semaine ? Qu’importe, tout le monde était à la même enseigne. Puis les campagnes se sont clairsemées, la société des loisirs s’est invitée jusqu’à la lisière des champs et des étables. Les crises à répétition ont entamé la foi inébranlable en l’avenir. La confiance absolue dans le récit collectif s’est émoussée. Ainsi voit-on des questionnements nouveaux poindre à la porte des fermes. « Nous sommes à un seuil d’époque », explique la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, « entre le plus et le pas encore ». En agriculture aussi, le monde ancien n’est plus, mais le nouveau n’est pas encore.


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