La société exige, la profession transige

À l’occasion de la journée « bien-être animal en porc » des Chambres d’agriculture de Bretagne, à Pontivy, plusieurs observateurs ont débattu de l’équation complexe entre intégration des exigences sociétales, réponse technique et rentabilité économique.

« De façon directe ou indirecte, un nouvel équipement qui apporte un gain de confort de travail à l’éleveur a un impact sur l’animal », souligne Valérie Courboulay, ingénieure d’études à l’Ifip. À l’inverse, chaque évolution de la réglementation, chaque changement de pratiques en faveur du bien-être animal ne se fait pas en claquant des doigts. « Cela fait toujours appel à l’adaptabilité de l’éleveur. » Parfois bousculé ou déboussolé, il doit digérer une demande parfois contraignante.

« Contention des animaux, interventions sur les porcelets, accès au plein air… Pour répondre aux exigences qui émergent chez le citoyen, on peut peut-être améliorer les bâtiments du parc actuel. Mais, à un moment, le pas à franchir pourrait être si large qu’il y aura peut-être une rupture dans la conception de porcheries demain », semble avertir la spécialiste. Et Yannick Ramonet, chargé d’études bien-être animal pour les Chambres d’agricultures de Bretagne, d’abonder : « Il est par exemple difficile d’expliquer aujourd’hui aux gens qu’on garde les cochons dans le noir… »

[caption id=”attachment_31033″ align=”aligncenter” width=”720″]bien-etre-porc « La demande sociétale dénonce la contention des animaux et le fait que les animaux ne vivent qu’une partie de leur vie en groupe comme les truies gestantes par exemple », a rappelé Valérie Courboulay de l’Ifip.[/caption]

Parfois très difficile à mettre en œuvre

Éleveur dans les Côtes d’Armor et président de l’équipe porc du réseau Chambre d’agriculture, Paul Auffray embraye : « Les médias ne cessent de pointer du doigt la profession, d’interpeller sur la bientraitance des animaux…

Mais les dérives, souvent des cas isolés dont ils font leurs choux gras, témoignent avant tout de l’état psychologique de certains éleveurs laminés par la conjoncture. » En plus de, toujours et partout, bien respecter les fondamentaux de la tenue d’un élevage (hygiène, nourriture, accès à l’eau…), il conçoit qu’il y aura encore des progrès à faire sur le bien-être animal. « Pour l’abreuvement à chaque étape ou la lumière naturelle, ce sera assez simple. Mais pour l’arrêt de la caudectomie ou de la castration, ce sera beaucoup plus complexe. Une augmentation du cannibalisme ou des carcasses à odeur posera de sérieux problèmes. »

À ce propos, un essai en station expérimentale sur la conduite de porcs en bâtiment classique sans recours à la caudectomie est programmé dès début 2018.

Demain, le confort du sol ?

« Face aux attentes fortes de la société, il faut toujours garder à l’esprit que l’animal est un être sensible pour guider ses choix. À partir de là, tout coule de source », estime Françoise Pol, vétérinaire chargée de projet de recherche sur le bien être du porc à l’Anses. Et de rappeler que l’animal doit « pouvoir exprimer tout le répertoire comportemental » lié à son espèce. « Les matériaux manipulables sont une chose, mais ils ne permettent pas le fouissage.

La question du confort du sol est aussi posée. Dans la filière, nous avons effectivement besoin de réfléchir de manière collective… »

Tous les témoins de la table ronde à l’initiative des Chambres d’agriculture de Bretagne à Pontivy estiment ainsi que les acteurs de la filière doivent « capitaliser » sur les porteurs de projets actuels qui intègrent d’emblée de nouvelles solutions avec l’idée de répondre au durcissement inéluctable des normes. « Les éleveurs sont source d’idées. Chaque changement prend du temps et crée souvent de nouveaux problèmes à résoudre… Ces initiatives terrain sont à évaluer avant d’être vulgarisées. »

Pas si simple de valoriser sa prise de risque

[caption id=”attachment_31034″ align=”alignright” width=”197″]Serge-Vallais Serge Vallais, éleveur[/caption]

Anticipant l’évolution tendancielle de la demande sociétale, Serge Vallais et ses associés, de la SCEA Le Gouta à Carentoir (56), ont inauguré en début d’année un bâtiment équipé de cases « liberté » d’inspiration nord-européenne. Dans les salles de maternité, les truies sont libérées quelques jours après la mise bas (voir article page 6). Ce choix technique va dans le sens de citoyens qui réclament, entre autres, moins de contention dans les élevages. Reste que cette option a un coût : Comptez un tiers de plus par rapport à un bâtiment classique, l’équivalent de l’investissement dans des cases balance », chiffre le Morbihannais. « Même si, avec des cases carrées de 5,76 m2 (2,4 m de côté), la limitation des couloirs pour circuler dans les salles a quand même permis d’économiser 70 m2 sur l’ensemble de la surface totale de l’enceinte de 180 places de maternité. » Devant cette prise de risque et ces efforts de vision à plus long terme, Paul Auffray interroge alors sur l’opportunité d’une valorisation supplémentaire de la viande. Avec une pointe d’humour et d’ironie, Serge Vallais avoue que « beaucoup de représentants de la distribution se disent séduits par la démarche mais aucun n’est encore venu avec une valise pleine de billets. Pour autant, je ne veux pas mendier des millièmes d’euros. » Sous-entendant que s’il doit y avoir un bonus demain, il doit être substantiel. « Ce n’est pas gagné, mais nous y travaillons. Soyons patients, nos premiers porcelets ne pèsent encore que 25 kg… »


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