pluie-climat-intemperie-azote-culture - Illustration La grande lessive de l’azote ?

La grande lessive de l’azote ?

Après la pluie… la pluie. A l’image d’une éponge gorgée à l’extrême, les sols bretons n’ont pas pu retenir toute l’eau tombée du ciel depuis l’automne. Pour autant, les compteurs à nitrates ont-ils été remis à zéro ?

Lessivés, rincés, nettoyés. Les fortes pluies hivernales – jusqu’à 400 mm sur les sommets bretons le dernier mois de 2013 – ont créé une ambiance de grande lessive des sols bretons. Résultat, la nature affiche l’image de ces paysages qui ont subi sans discontinuer plusieurs cycles de rinçage. Une actualité si omniprésente qu’en début janvier, pour remettre ses écoliers dans le bain de la reprise, il « plut » à une maîtresse d’apprendre la conjugaison de ce verbe du 3e groupe à sa classe : « Il a plu, il pleut, il pleuvra ». Mais cette conjugaison à tous les modes et tous les temps ne « plut » guère à cet écolier breton qui prétexta qu’il ne connaissait qu’un temps et un seul mode : « le mauvais temps à la mode bretonne ». Fin de plaisanterie…

80-95 % du débit vient de la nappe

Parce que dans le gris du ciel, il y a toujours une éclaircie, des esprits optimistes diront que ce rinçage en profondeur infléchira les courbes de nitrates. Faux espoir, explique Patrick Durand, ingénieur de recherche à l’Inra, qui rappelle que « la rivière est un mélange d’eaux de tous âges : moins d’un an, 1 an, 10 ans, 20-30 ans ». Et d’ajouter : « 80-95 % du débit vient de la nappe souterraine ». En fait, les fuites d’azote vers la rivière ne sont pas simplement liées à la lame drainante hivernale (la quantité d’eau qui sort de l’éponge). Tout dépend du stock d’azote minéral présent dans le sol au moment des fortes pluies. L’eau n’entraîne que ce qui est soluble. Ce stock libre, que les agronomes appellent reliquat, varie de 10 à 120 kgN/ha en Bretagne. Cette grande amplitude découle de la culture en place, du calendrier de la fertilisation passée, de la minéralisation (transformation de l’azote organique en azote minéral), de la rotation des cultures, etc. C’est cet azote minéral libre qui est susceptible d’être emporté par l’eau. Les agronomes utilisent le terme savant de lexiviation pour qualifier cette fuite.

Pas de chance, en Bretagne, beaucoup de sols sont perméables et peu profonds : 70 à 90 % de la pluie pénètre dans le sol. Quand les sols sont saturés, c’est cette eau (lame drainante) qui est susceptible d’entraîner les nitrates. Le ruissellement superficiel quant à lui n’entraîne que peu de nitrates mais provoque l’érosion ; le ruissellement est le lot des fortes précipitations mais ne représente que 5 à 10 % de la pluie annuelle même si ponctuellement il peut représenter 20 à 30 % du débit d’une rivière (les crues de décembre sont là pour témoigner). « Entre prélèvement par la plante et entraînement par l’eau hors d’atteinte des racines, c’est la course », illustre Patrick Durand. D’autant plus que la saison de drainage s’étire « de novembre à mars » ; une éternité sur le plan agronomique car les plantes vivent au ralenti et ne prélèvent pratiquement pas d’azote. Surtout qu’à l’autre bout de la chaîne, les sols continuent à fabriquer des nitrates qui n’attendent que de croiser une goutte d’eau pour migrer. Cette minéralisation est d’autant plus importante que l’hiver est doux, comme cette année. L’œil expérimenté aura d’ailleurs vu que le processus se poursuit : depuis 15 jours, les pâtures ont sérieusement verdi, signe qu’il y a de l’azote dans le sol… et que tout n’est pas parti avec l’eau.

De 2 à 10 t/ha d’azote

La quantité d’azote total contenue dans le sol est énorme : l’équivalent de 10 à 50 big-bags d’ammonitrate par hectare. Ces chiffres-là sont pour le spectacle ! Car seulement une faible fraction est sous forme ammoniacale et nitrique. Le reste est étroitement lié à la matière organique. On ne le retrouvera donc pas dans l’eau des nappes. Le chaulage (baisse de l’acidité) et l’oxygénation du sol (travail de la terre) favorisent l’activité biologique qui elle-même entraîne la minéralisation de l’azote organique. La meilleure illustration c’est la vieille prairie que l’on retourne pour mettre un maïs : pas besoin de mettre d’engrais, le maïs fait généralement des records de rendement.

Faire marcher la pompe à nitrates

C’est la fameuse pompe à nitrates qui est en route. L’obligation de couvrir les sols durant l’hiver vise à faire tourner cette pompe à nitrates. Pour les prairies, la machine est en place et fonctionne bien : « Le lessivage de nitrates sous prairie est en moyenne de 15 kg/ha pour des parcelles majoritairement fauchées et 25 kg pour les prairies majoritairement pâturées. Sachant que les compteurs peuvent exploser quand les pâtures sont utilisées en parcelle d’hivernage : c’est de là que vient aussi cette norme de 400 JPE/ha (journée de pâturage) sur la période du 1er novembre au 14 mars envisagée par les projets d’arrêts environnementaux. » Il est une autre pompe qui fonctionne très bien. « Un couvert fortement développé abaisse de moitié le reliquat de début de drainage », explique les agronomes de la Chambre d’agriculture. Autrement dit les plantes qui ont capté les nitrates à l’automne ne les lâchent pas pendant l’hiver. « C’est pourquoi semer son couvert rapidement après la moisson doit être une priorité ». Une bonne façon d’emprisonner l’azote qui la prochaine saison se libérera partiellement pour la nouvelle culture. Didier Le Du

L’avis de Sylvie Guiet, Chargée de mission Territ’eau

Les résultats des plans d’action pour la qualité de l’eau mis en place dans le cadre de Bretagne Eau Pure n’ont pas toujours donné les résultats escomptés. Dès 2003, les Chambres d’agriculture et l’Inra ont mis en place le projet Territ’eau. L’objectif final est de définir les actions les plus adaptées à chaque bassin versant. Car à vouloir appliquer des règles générales sans tenir compte des particularités hydrologiques des différents territoires conduit souvent à des déceptions au niveau des résultats attendus. Chaque bassin a ses particularités qu’il faut intégrer. Aujourd’hui, nous continuons à vulgariser cette approche qui s’appuie sur des diagnostics de territoire réalisés en partenariat avec les agriculteurs. Des conseillers de terrain sont formés au référentiel de connaissances de Territ’eau.


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