C’est un monument discret. Une allégorie à l’agriculture. Un statuaire, un nom, une époque : « À la mémoire de MM. de Pompéry, initiateurs en ce pays du progrès agricole, 1830-1880. » L’inscription, gravée à même le granit, interpelle les curieux qui entrent dans la commune du Faou. Mais qui étaient donc ces de Pompéry ? Et quel vent nouveau ont-ils soufflé sur la campagne finistérienne ?
Un comte, des idées, et un domaine comme laboratoire
Il faut remonter aux années 1830. À l’époque, la Bretagne intérieure reste à l’écart des grandes mutations agricoles qui transforment lentement les campagnes françaises. Le comte Louis de Pompéry, issu d’une lignée noble locale, fait figure d’exception.
Lettré, curieux, il reprend en main le domaine familial de Rosnoën, vaste de plusieurs centaines d’hectares. Mais au lieu de gérer son patrimoine selon les usages de l’aristocratie terrienne, il en fait un terrain d’expérimentation.
L’idée est simple : moderniser les pratiques, améliorer les rendements, valoriser les terres. Avec ses frères – Jean et Alfred notamment – il introduit la jachère alternée remplaçant la jachère morte, diversifie les cultures, rationalise les élevages : « L’étalon Percheron et le taureau croisé Durham leur amenaient beaucoup de fermiers qui venaient d’assez loin avec leurs juments et leurs vaches pour les faire saillir. » Dans leur ferme modèle, on teste de nouvelles semences, on adopte la charrue brabançonne, on draine les zones humides. Et surtout, on partage.
Car les Pompéry ne se contentent pas d’innover chez eux. Ils créent une Société d’agriculture locale, animent des conférences, encouragent les concours de labours. Ils ouvrent leur domaine aux cultivateurs du canton, organisent des démonstrations, distribuent les résultats de leurs essais. Une démarche rare pour l’époque, où la transmission du savoir reste souvent affaire de castes.


« Il ne suffit pas de nourrir la terre, il faut instruire ceux qui travaillent »
Leurs écrits, leurs comptes rendus d’expérimentation, circulent dans les milieux éclairés. Ils entretiennent une correspondance avec d’autres réformateurs du Grand Ouest, parfois jusqu’à Paris. Leur engagement s’inscrit aussi dans une époque : celle du XIXe siècle où la science commence à pénétrer les campagnes, à la faveur des progrès de l’agronomie et de l’essor des sociétés savantes.
Le Second Empire encourage alors activement la modernisation des campagnes. Partout en France, les préfets relaient les instructions de l’administration centrale pour diffuser les savoirs agricoles et combattre la misère paysanne. C’est dans cette dynamique que les Pompéry s’inscrivent, avec une longueur d’avance sur bien des notables. Dans une lettre adressée à la Société d’agriculture de Rennes, Louis de Pompéry écrit : « Il ne suffit pas de nourrir la terre, il faut instruire ceux qui la travaillent. » Une maxime qui résume à elle seule la philosophie familiale : le progrès, oui, mais partagé.
Un héritage enfoui, mais pas effacé
Deux cents ans ont presque passé. Le domaine a changé de mains, les terres ont été morcelées. Mais au Faou, la mémoire veille. Et ce petit monument planté à la croisée des routes agit comme un rappel muet : avant les politiques publiques, avant les Chambres d’agriculture, il y eut des hommes, seuls ou presque, pour croire en une Bretagne paysanne plus forte et plus libre. Ils ont ouvert les fenêtres rappelle la plaque vissée sur le piédestal de granite. Des fenêtres sur les savoirs, sur le monde, et sur une manière de faire progresser la terre sans renier ceux qui y vivent.
Didier Le Du
Ils ont fait école
De Louis à Alfred de Pompéry (en passant par Théophile, ci-contre), plusieurs membres de la famille ont œuvré à la modernisation de l’agriculture locale entre 1830 et 1880. Passionnés par les sciences agronomiques, ils ont introduit de nouvelles cultures, despratiques de drainage, des outils performants et fondé des cercles de vulgarisation. Leurs expérimentations sur le domaine familial ont fait école bien au-delà de Rosnoën, inspirant une agriculture plus efficiente, mieux adaptée aux sols bretons.