Crédit-bail, vraie facture, faux propriétaire : Des tracteurs fantômes

Plusieurs centaines d’agriculteurs seraient concernés pour un montant de plusieurs centaines de milliers d’euros. L’affaire SDMA secoue le monde agricole.

IMG_3584.jpg - Illustration Crédit-bail, vraie facture, faux propriétaire : Des tracteurs fantômes
La FDSEA était mobilisée le 11 juillet devant le palais de justice de Quimper où se tenait l'audience des déclarations 
de créances.

C’est une affaire d’escroquerie tentaculaire qui dépasse largement le périmètre du Finistère. La ficelle a été découverte après la crise du Covid qui a induit une baisse d’activité dans le machinisme agricole, provoquant des tensions de trésorerie dans la société de vente de matériel agricole finistérienne désormais liquidée. De nombreux agriculteurs sont aujourd’hui les victimes collatérales des pratiques frauduleuses orchestrées par la SDMA. Le jeudi 10 juillet, le tribunal de Quimper examinait les déclarations de créance d’une vingtaine de dossiers dans le cadre de cette faillite retentissante. Une nouvelle audience était prévue cette semaine.

C’est le Ponzi du tracteur

Pratique illégale

Le cœur du système reposait sur un montage aussi illégal que complexe. Selon les dires de l’avocat, SDMA obtenait du matériel agricole par le biais de contrats de crédit-bail, qu’elle proposait ensuite en crédit-bail à des exploitants – une pratique totalement interdite –, ou revendait directement le matériel comme si elle en était propriétaire. Le concessionnaire recyclait les fonds issus des reprises et des ventes pour rembourser les anciennes dettes. Une mécanique de cavalerie, estime Maître Coadou, avocat pour la FDSEA, qui parle de « Ponzi du tracteur », en référence à la fraude financière de type pyramide orchestrée par Madoff. Cette fois encore l’artifice a tenu ses promesses tant que les remboursements affluaient. Jusqu’à l’effondrement.

Au cœur de la manœuvre : des cartes grises jamais remises, des montages opaques… et une mécanique bien rodée. « Le concessionnaire revendait des tracteurs et autres matériels financés en crédit-bail sans en être légalement propriétaire. Les cartes grises restaient bloquées, empêchant les agriculteurs de revendre, voire même d’assurer leur matériel ».

Et le tracteur ne leur appartient pas…

Dans de nombreux cas, les agriculteurs ont découvert avec stupeur que les tracteurs qu’ils pensaient avoir achetés ne leur appartenaient pas. Certains crédits-bailleurs, véritables propriétaires initiaux du matériel, ont alors, selon Me Coadou, mandaté des huissiers « pour venir dans les fermes. J’ai des clients où des huissiers se sont présentés. ». Et d’ajouter : « Il y a des agriculteurs qui avaient déjà fini de payer le crédit-bail. […] Aujourd’hui, leur tracteur est estimé à la valeur contractuelle. »

Toujours selon l’avocat de la FDSEA, « certains exploitants ont été assignés en justice pour verser à nouveau l’intégralité du prix des machines » (NDLR : l’affaire concerne un panel de machines agricoles), « parfois majoré de dommages et intérêts ». « On voit des procédures à 300 000 € pour du matériel qui en valait 140 000 », dénonce Me Coadou. « Alors que certains ont déjà payé leur tracteur. Résultat : ils paient deux, parfois trois fois pour un seul engin. » Un effet de piège pour des professionnels souvent peu armés pour affronter ce type de contentieux.

La FDSEA en soutien aux agriculteurs

« L’agriculteur s’est fait avoir sur toute la ligne », résume l’avocat de la FDSEA. « Ce montage jouait sur la confiance, sur la complexité des contrats, sur le fait que beaucoup de paysans ne sont pas familiers des arcanes juridiques. » Certains n’ont pas déclaré de créance, pensant être dans leur bon droit, et s’exposent à des condamnations. D’autres, acculés, se sont tus, ou ont préféré payer à nouveau pour éviter une saisie.

Du côté de la FDSEA, la colère monte. L’organisation agricole, partie civile, a engagé une action en comblement de passif pour tenter d’engager la responsabilité personnelle du gérant. Sans procédure pénale, son patrimoine privé ne peut pas être touché. « Or les préjudices sont lourds : ce sont des agriculteurs parfois au bord de la faillite, qui vivent en plus la honte de s’être fait berner », souligne Gilbert Le Goff, vice-président de la FDSEA du Finistère.

Didier Le Du

La confiance trahie

Gilbert Le Goff – Vice-président de la FDSEA 29

La FDSEA du Finistère exprime son soutien plein et entier aux agriculteurs pris dans l’engrenage infernal de l’affaire SDMA. Des dizaines de professionnels, du Finistère, du Morbihan et d’ailleurs, sont confrontés à des demandes de double paiement, à la restitution de matériel, et à la contestation de leurs créances. Cette situation est née d’un système frauduleux qui ébranle les fondements mêmes du monde agricole. La confiance, socle invisible mais essentiel de toute activité agricole, a été trahie. C’est tout simplement inadmissible.


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