Honorer la mémoire, leur cheval de bataille

En recréant un camp militaire, les membres de l’association des anciens combattants de Plouigneau (29) vont honorer la mémoire des militaires et des civils tombés sur la commune le 9 août 1944.

16725.hr - Illustration Honorer la mémoire, leur cheval de bataille
Une partie des bénévoles qui reconstituent le campement.

C’est l’histoire d’une paisible pâture où paissent des Salers. En cette fraiche matinée d’été, dans ce cadre champêtre, l’endroit a un côté rassurant. Pourtant, il y a près de 80 ans, c’est une tout autre histoire qui se déroulait dans ce secteur du Trégor finistérien, à Plouigneau (29).

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Le campement reconstitué sera installé dans le champ occupé par des Salers.

De la liesse à la détresse

Le 8 août 1944, les battages battent leur plein quand la commune est libérée par des soldats américains « chargés de protéger les ponts. Ils sont arrivés par Le Ponthou », détaille Daniel Picart, passionné de cette tranche de l’histoire et éleveur de cochons sur la commune. Les travaux des champs sont alors laissés de côté pour faire place à la fête, le marchand de vin perce un tonneau à même la rue. Pendant qu’une partie des forces armées continuent leur route vers Morlaix (29), la fête continue pour les habitants. L’intendance de l’armée américaine, qui compte 8 sujets pour un combattant, installe son campement dans le champ aujourd’hui occupé par les bovins aux grandes cornes.

Le 9 août 1944, la brume du petit matin pèse sur les esprits comme sur le village. Une colonne de soldats allemands arrive aux portes de la commune, masquée par ces épaisses écharpes de coton humide. « Ils étaient entre 200 et 500 », chiffre Jean-Jacques Fournis, écrivain et spécialiste de la période. Cette colonne en provenance de Lanmeur « semblait un peu perdue ; ils voulaient sans doute rejoindre Brest, c’était beaucoup plus risqué d’aller à Lorient. Les colonnes sont devenues au bout d’un moment plus autonomes, dirigées par les plus gradés. Ils paraissaient être en déroute, il faut dire que la résistance faisait tout pour désorganiser l’unité allemande ».

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Les dessins de Jean-Jacques Fournis sont bouleversants car très proches de la réalité.

Un premier soldat US est tué dès potron-minet. Les soldats allemands positionnent des canons anti-char et des mitrailleuses à des endroits stratégiques. De son côté, l’imposante intendance, peu armée, décide d’appeler en renfort 5 chars Stuart de la 15e cavalerie. Ce renfort, dirigé par le lieutenant Hamsley, part de Morlaix. S’engage alors une guerre éclair entre les canons et ces chars, il ne faut que quelques minutes au canon allemand pour détruire 3 engins américains, le canonnier devant être extrêmement habile. Le lieutenant américain Hamsley, devenu par la suite colonel, arrive à éviter les obus et détruit ce canon précis, puis appelle des Mustangs P51 originellement affectés au bombardement de Cherbourg. Cette aide par les airs ne tarde pas à venir, les balles fusent. « On retrouve une trace de balle dans la pendule de l’église. » Un pilote américain fait les frais de cette pluie d’enfer, son avion s’écrase sur les hauteurs de Luzivilly, village proche du bourg. Les mustangs « n’avaient pas de siège éjectable. Le pilote a dû retourner son avion en plein vol pour s’en extraire et ouvrir son parachute », raconte Daniel Picart. Arrivé au sol, le soldat fut caché par un cultivateur, témoin de la scène.

Les pertes humaines sont lourdes ; les paysans ont payé un lourd tribut lors de cette bataille. « Il faut s’imaginer leur douleur, ils se sont portés en avant pour sauver leurs chevaux en les dételant de leurs charrettes ; 80 chevaux sont morts ce jour-là. » 

Du temps et des histoires

Ces faits gravés dans les pages du livre d’histoire de la ville ont laissé des traces, à commencer par le nom donné par le croisement de voies principales et aujurd’hui érigé, au cœur des faits, un imposant bloc de granit orné d’une ardoise « Porte du Colonel Hamsley », suivi des noms Hamden, Palmateer et Stewart, soldats de la Task Force A de la 15e cavalerie, tués au combat le 9 août. Cette même date a aussi été choisie par les ignaciens pour baptiser une des artères carrossables. Après plusieurs décennies, André Chouin, président des anciens combattants, remarque que « certains ne veulent plus entendre parler de cet évènement ». Une façon de tourner la page. Même constat pour Daniel Sannier, ancien professeur des écoles et membre de l’association qui se souvient que « mon père a fait 14-18. Il n’en parlait que les soirs de fête après les battages ». Un souvenir douloureux qui au fil du temps essaie de faire passer aux oubliettes le passé. Pourtant, les membres de l’association des anciens combattants ne veulent pas effacer ce moment du temps, « ce travail de mémoire, c’est aussi une façon de faire son deuil », estime Jean-Jacques Fournis, commémorer le 9 août est « une date éternelle que l’on doit célébrer vis-à-vis des soldats ». Ce sera chose faite à la fin du mois, avec 2 journées consacrées à la fête et aux commémorations, où des familles américaines viendront en savoir un peu plus sur l’histoire de leurs aïeux. L’écrivain intarissable sur le sujet racontera les faits qu’il a méthodiquement recueillis et séquencés, par la collecte de nombreux témoignages et des échanges avec le colonel Hamsley. Le Breton aime prolonger, décortiquer et préciser l’histoire, « mais il reste des blancs à compléter, cet évènement comporte de nombreuses facettes ».

La paisible pâture où paissent les Salers a retrouvé sa quiétude ; ils sont loin les bruits de chars, d’avions, de hennissements de chevaux à l’agonie. La vie a repris sa place, mais n’oublie pas ces moments terribles. 

Un camp reconstitué

Les 29 et 30 juillet, rendez-vous pour « Une journée en enfer » à Plouigneau avec la reconstitution du camp américain de 1944, une exposition sur la bataille du 9 août, un battage à l’ancienne par les amis de l’écomusée, une exposition de voitures anciennes par Calandre et Torpédo. Le samedi 29, de 18 à 21 h : apéro-concert avec Danny Fletsher and co. Le dimanche  30 : commémoration officielle à 10 h 30, saut de parachutistes au-dessus du camp (selon météo). Gratuit.


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