Le soja sous la pression brésilienne

Le Brésil vient d’enregistrer une récolte record, à l’inverse de sa voisine argentine. Entre manque de stockage, vente massive des agriculteurs et demande mondiale faiblarde, les prix des tourteaux de soja reculent fortement depuis le pic atteint en mars. Souvenez-vous, l’an passé la production de soja brésilienne subissait les affres de la sécheresse et reculait à 129 Mt (-11 Mt par rapport à la saison précédente). Cette saison, la météo a été plus clémente et voilà le pays croulant littéralement sous 151 Mt de soja ! Les agriculteurs, face aux incertitudes du marché, ont joué la montre et peu vendu avant la récolte. Mauvais calcul puisqu’entre les stocks de la saison précédente et des récoltes de maïs croissantes, les capacités de stockage débordent. Déficit de stockage On sait combien de gros efforts ont été faits pour transporter les sojas vers les ports du Nord où les capacités à l’exportation ont fortement progressé. Mais il reste un maillon faible, c’est-à-dire le stockage intermédiaire. Cette année la récolte dépasse de 20 % la collecte moyenne des 5 dernières années (soit +26 Mt). Les files d’attente des camions venant décharger sur les ports afin d’y trouver un stockage temporaire s’allongent, tout comme les temps d’attente des bateaux. Car en plus de ventes de graines qui s’accélèrent depuis mars, le pays exporte aussi encore beaucoup de maïs et des tourteaux. Tous les états ne sont pas logés à la même enseigne. Dans le Mato Grosso, le déficit de stockage avoisinerait 64 Mt. La capacité est de 45 Mt, mais les productions de maïs et de soja de l’État culminent à 91 Mt. Si les récoltes s’étalent généralement de janvier à février pour le soja et de juin à juillet pour le maïs, les stocks se cumulent selon la rapidité des ventes et les débouchés (export ou marché local). Une partie du maïs est ainsi destinée au marché régional de l’éthanol et a donc vocation à rester dans des silos plus longtemps au cours de l’année. Dans les États du Nord-Est du pays comme celui de Piaui, la récolte est particulièrement élevée alors que la logistique ne suit pas. Les routes ne sont pas asphaltées et le trafic s’arrête dès que la pluie les transforme en bourbier. Les agriculteurs ont recours aux silos bags pour accroître leur stockage et ne pas être obligés de vendre à la récolte. Mais avec des rendements en hausse de 10 à 13 %, cela ne suffit pas. Moment d'ajustement Nous vivons donc un moment d’ajustement, qui devrait perdurer encore quelque temps. Les prix à l’exportation ont nettement chuté depuis mi-avril, mais s’affichent toujours au-dessus de la moyenne 10 ans. L’enjeu est important pour les producteurs qui ont enregistré une hausse des coûts de production qui n’ont jamais été aussi élevés que pour cette récolte 2023, et qui s’inquiètent de voir leurs marges fondre comme neige au soleil. L’enjeu est aussi important pour le pays qui programme pour cette année des revenus records à l’exportation pour le complexe soja (graine, huile, tourteau), soit 67,4 milliards de dollars (66,4 Md $ en 2022). Des ambitions à l'exportation La bonne nouvelle, pour les Brésiliens, c’est que l’horizon est plutôt dégagé. Les USA ont fourni leur effort annuel et devraient terminer la campagne avec des stocks corrects mais sans plus. L’Argentine, quant à elle, est sinistrée et devrait importer jusqu’à 10 Mt de graines pour faire tourner ses usines… à moins d’une forte dévaluation de sa monnaie qui reste toujours possible. Les ambitions du Brésil à l’exportation sont donc élevées, mais le pays va devoir mettre le turbo entre aujourd’hui et octobre (retour des USA) pour placer ses produits. Et c’est là que le bât blesse. Car la demande mondiale flanche. Selon l’analyste de marché allemand Oil World, la trituration de soja devrait reculer de 6,5 Mt sur la campagne 2022/2023, et revenir à un plus bas de trois ans. En cause, l’appétit chinois qui vacille de nouveau (retour de la fièvre porcine africaine) et celui de l’UE qui lui préfère actuellement le colza. Réajustement des cotations C’est la première fois de l’histoire que l’on constate une baisse de la demande mondiale de tourteaux de soja aussi forte d’une année à l’autre, soit un recul de 4 Mt. Et si on évoque la Chine ou l’UE, les deux consommateurs phares, la tendance s’observe aussi en Thaïlande, en Turquie, en Égypte, au Mexique, etc. Partout, la flambée du prix du tourteau de soja consécutive aux problèmes climatiques et économiques argentins, a disqualifié le coproduit face aux autres tourteaux et à des céréales dont les prix se sont repliés plus rapidement. Le réajustement actuel des cotations est donc un passage obligé pour retrouver la demande. La suite pourrait plus dépendre de la demande que de l’offre. Il faut des prix encore plus bas pour inciter les Chinois à stocker, mais la limite restera les besoins réels face aux épizooties à l’œuvre sur tous les continents, ainsi que les arbitrages alimentaires des consommateurs face à l’inflation.

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