Le 1er avril 1952, l’impôt agricole invisible

Dans les archives de Paysan Breton :

Il y a des impôts invisibles. Quand il était ministre du Budget, Edgar Faure déclarait : « Le tiers de la population française vit de l’agriculture qui paie l’impôt, non par la voie fiscale directe, mais en vendant ses produits à des prix qui ne laissent qu’un revenu peu élevé à la moyenne des agriculteurs. »

Il y en a un autre également invisible et qui n’est pas moins lourd. Et ici, nous nous contentons de citer notre excellent confrère Les Nouvelles de Bretagne qui, dans son numéro du 14 mars 1952, a eu le mérite de chiffrer l’apport gratuit de main-d’œuvre fait chaque année par la campagne à la ville.

« C’est peut-être le plus grand service que l’agriculture rend à la nation que de l’entretenir, s’il est permis de parler ainsi, en matériel humain. Les villes et l’industrie sont de grosses mangeuses d’hommes. Elles n’ont jamais su se reproduire.

Sans la campagne et ses apports continuels, les villes ne seraient que des déserts, que des cimetières. Il est évidemment délicat, quand il s’agit d’hommes de parler de valeur pénale, de valeur commerciale pour de semblables énergies. Et pourtant elles en ont une représentée par leurs frais de production, assez difficiles à bien déterminer, mais qui pourrait être calculée d’une autre façon, en tenant compte de sa capacité de rendement, de sa productivité de profits.

Donc en nous tenant au seul point de vue économique, l’homme peut-être considéré comme un capital productif d’intérêts et le salaire comme représentant la valeur de son produit. Dès lors pour obtenir le chiffre total du capital qu’il représente on n’aura qu’à capitaliser son salaire d’après le taux normal de l’intérêt servi aux autres capitaux.

Sans doute les hommes qui sortent de l’agriculture et qui vont se présenter à l’embauchage en ville ou dans l’industrie ne peuvent pas prétendre aux hauts salaires. Ils ne peuvent cependant gagner moins dans l’ensemble que 300 000 francs par an. Ce chiffre capitalisé à 5 % donne 6 millions.

Voilà donc ce que représente comme prélèvement sur l’agriculture, chaque homme qui quitte la campagne pour aller travailler ailleurs. En multipliant ce chiffre par le nombre des adultes qui quittent l’agriculture chaque année, de 80 à 100 000, pour se livrer à des occupations non agricoles, pourtant indispensables à la vie de la nation, on arrive à 60 milliards par chaque dizaine de milliers.

Au total, on atteint des nombres astronomiques. Je ne veux pas accorder à ces chiffres, pourtant appuyés, comme on le voit, sur des bases sérieuses, plus de valeur qu’ils n’en ont. Cependant il n’est pas douteux que la campagne fournit à la ville des travailleurs qui ont été pour elle l’objet de dépenses élevées.

On devrait s’attendre à ce qu’on leur en ait quelque reconnaissance. Pas du tout. Comme elle a fourni ce matériel humain sans compensation et sans réciprocité, on s’attend qu’elle fournisse tout le reste
et notamment ses denrées alimentaires, au même compte, sans s’inquiéter un instant de savoir comment elle pourra subsister et payer les objets qu’on lui vend toujours au plus haut prix.


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