engrais-fertilisation-big - Illustration 15 avril 1947 : Où sont les engrais ?

15 avril 1947 : Où sont les engrais ?

Dans les archives de Paysan Breton :

Avec la fin de l’hiver, les travaux de printemps ont commencé ; on les poursuit d’autant plus activement que le mauvais temps des dernières semaines a causé pas mal de retard, surtout dans les terres humides. On prépare la terre pour l’orge, les pommes de terre, le blé noir, en se disant : « Vont-ils arriver ? ». Et l’on pense surtout au blé d’hiver, qui a besoin, tout de suite, d’un sérieux coup de fouet.
« Ils », ce sont les engrais. Personne ne nous a encore dit qu’en chaussures et en tissus, en outillage, nous étions revenus au niveau de la production d’avant-guerre. On s’en aperçoit bien.

Mais pour les engrais, la production atteint et même dépasse le chiffre de 1939, paraît-il. Où passent-ils, alors ? Nous sommes toujours rationnés ; notre sol épuisé ne rend plus ; notre travail n’est pas payé. S’il y a autant d’engrais qu’avant la guerre et si, grâce à l’économie dirigée (!), les négociants et coopératives sont approvisionnés en fonction de leurs achats de 1939, nous devrions en avoir au moins autant qu’à cette époque. Or nous n’en trouvons même pas toujours la moitié.

Pourquoi ?

Il en part d’abord à l’étranger, nous l’avons déjà dit. Nous les donnons en échange d’autre chose ou pour des devises. Ne pourrait-on conserver d’abord ce qu’il nous faut : un clochard qui n’a rien que sa chemise ne la vend pas pour une paire de chaussettes, même en soie.
Mais il y a autre chose qui fausse la répartition du contingent réservé au sol français : la C.G.T., par l’intermédiaire de ses coopératives d’usines, a son contingent à distribuer ; c’est grâce à ses engrais-là que ces coopératives trouvent du beurre, de la viande, des pommes de terre.

Pour ce troc, ce sont les plus petits négociants des bourgs qui sont les plus intéressants : ils connaissent leurs clients et leurs possibilités : « Tu veux des engrais ; donne du beurre, des patates, un veau. »

Et l’on voit ainsi des intermédiaires disposer de 180 tonnes de scories de plus que leur contingent normal, alors que des maisons importantes, qui répugnent à un pareil trafic n’obtiennent même pas la quantité à laquelle elles ont droit. Des courtiers véreux proposent des engrais en dehors de toute répartition régulière et revendent à n’importe quel prix ce qu’ils ont obtenu par n’importe quel moyen.

Telle petite coopérative, qui n’a pas deux ans d’existence, obtient 1600 tonnes de nitrate au lieu de 800 ; étant la direction politique, elle marche dans le sens du vent. À ce compte-là, la production des engrais peut être satisfaisante ; notre sol, dans l’ensemble, ne s’en aperçoit pas.

C’est que l’économie dirigée, ici comme dans bien d’autres secteurs, a sa raison d’être ; elle fixe des règles de répartition auxquelles tout le monde doit se conformer, excepté, bien entendu, ceux auxquels on permet de les enfreindre. Avec la liberté pour tous, ce serait la fin du favoritisme et du règne de la bureaucratie. Mais bien des politiciens et des fonctionnaires y perdraient ainsi un appréciable moyen de « persuasion » auprès des cultivateurs. Et ils tiennent à le garder.

La production n’y gagne pas. Bien au contraire. Ni les ravitaillements du pays, car tous les consommateurs ne font pas encore partie des coopératives d’usines. Que penseraient-ils de ceux qui nous dirigent, les pauvres consommateurs qui n’ont que les rations de leurs tickets, s’ils savaient que pas mal de cultivateurs sont prêts à affirmer comme l’un d’entre eux, dernièrement : « Qu’on me donne l’engrais nécessaire et je m’engage à livrer au ravitaillement le double de ce que j’ai livré l’an dernier. »


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