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Le revenu des éleveurs mieux protégé aux États-Unis

Jean-Christophe Debar est consultant d’Agri US Analyse, société spécialisée dans la politique agricole des États-Unis. Dans cette interview, il nous détaille les mesures de soutien aux éleveurs laitiers américains.

Est-ce que le nouveau Farm Bill a changé la politique laitière aux États-Unis ?

Tous les 5-6 ans, le Farm Bill fait un bilan de la politique agricole et impulse de nouvelles orientations en fonction du contexte. Dans la dernière mouture 2014 – 2018, le choix a été fait de conserver les marketing orders laitiers, système qui date de la fin des années 30 et qui vise à la fois à redistribuer une partie de la valeur ajoutée aux éleveurs et à les rémunérer davantage dans les régions déficitaires en lait. Les prix du lait sont différenciés selon les débouchés des entreprises laitières (4 classes de prix), avec un système de péréquation. Dans chaque grand bassin de commercialisation, les producteurs reçoivent un même prix moyen. Les marketing orders fédéraux couvrent deux tiers de la production laitière américaine ; en outre, 20 % sont régis par un  dispositif proche, en Californie.
En France, nous nous orientons vers la contractualisation avec les entreprises laitières, laissant de côté les accords interprofessionnels. Les producteurs ont des difficultés à obtenir des prix rémunérateurs…
Oui. D’où l’importance de s’organiser collectivement pour négocier à grande échelle. La nouvelle Pac donne d’ailleurs des possibilités allant dans ce sens.

Existe-t-il des mesures d’intervention aux États-Unis ?

Dans le précédent Farm Bill, et depuis 1949, un système d’intervention existait. Quand les cours chutaient, les pouvoirs publics achetaient des produits laitiers (beurre, poudre, fromage) pour que les producteurs puissent toucher un prix plancher. Ce système a été supprimé à la demande des coopératives qui collectent plus de 80 % du lait aux États-Unis (mais sont minoritaires dans la transformation). Selon elles, les prix garantis étaient trop bas et ne tenaient pas compte de la hausse des charges. Ce système était par ailleurs jugé défavorable à l’exportation qui s’est fortement développée depuis plus de 10 ans, d’autant plus qu’il n’y a pas de quotas de production de lait outre-Atlantique.
D’autres outils d’appui aux producteurs de lait existent-ils ?
Un système de garantie de marge brute a été voté par le Congrès, et est entré en vigueur en 2015. C’est un filet de sécurité qui permet de faire face aux crises, voire de s’assurer une marge relativement élevée, au choix du producteur. La marge brute est calculée par différence entre le prix moyen du lait aux USA et le coût d’une ration théorique VL (comprenant du maïs, du soja et de la luzerne). Quand la marge brute descend en dessous de 88,2 $/t, le producteur perçoit le complément jusqu’à 88,2 $. Mais il faut savoir que, sur la période 2000-2015, la marge brute moyenne s’est élevée à plus du double de ce montant.

Comment est reçue cette nouvelle mesure ?

Pour le moment, le succès est mitigé, seule la moitié des producteurs ont rempli le dossier administratif, à renouveler chaque année. Sans doute les producteurs sont-ils assez confiants pour 2015 ; et puis, c’est la première année… De plus, la possibilité est donnée aux éleveurs de cotiser pour se protéger jusqu’à deux fois la garantie minimum (176 $/t). En 2015, moins de 60 % de ceux qui participent au programme ont choisi de se protéger pour une garantie supérieure au niveau minimum.

Un instrument de stabilisation des revenus dans la nouvelle Pac

Transposer le système américain en Europe est quasiment impossible, car la majorité des pays devraient être d’accord, ce qui semble difficile aujourd’hui. « Et les aides US sont variables, alors que notre système budgétaire est basé sur une enveloppe fixe chaque année », précise Jean-Christophe Debar. « Par ailleurs, l’Europe affiche aujourd’hui clairement une vision libérale. » Toutefois, la dernière réforme de la Pac a introduit un instrument de stabilisation des revenus, pour le moment inutilisé. Il permet de sauvegarder la marge brute globale de
l’exploitation, quand elle devient inférieure d’au moins 30 % à la moyenne des 5 dernières années. C’est un premier filet de sécurité, auquel d’autres volets pourraient être ajoutés pour la Pac d’après 2020.

L’intervention a-t-elle totalement disparu ?

Pas totalement, mais elle est mince. L’USDA (ministère de l’Agriculture US) doit acheter des produits laitiers sur le marché jusqu’à ce que la marge brute remonte. Mais ils ne peuvent être stockés et partent comme aide alimentaire aux plus démunis. De plus, l’intervention est stoppée quand les prix des produits laitiers sont supérieurs de 5 à 7 % aux prix mondiaux, toujours dans la logique de rester compétitif à l’exportation. Les producteurs avaient par ailleurs proposé de pénaliser les exploitations produisant des volumes supplémentaires en cas de crise grave et durable. Mais sous la pression des transformateurs privés, cette mesure n’a pas été adoptée.

Le nouveau Farm Bill joue-t-il un rôle contre la volatilité ?

Auparavant, il y avait une réelle volonté de stopper la baisse des prix. Aujourd’hui, la politique laitière entend prémunir les producteurs contre les effets de la volatilité, mais ne la supprime pas. Elle ne souhaite pas intervenir sur le marché lui-même, ou le moins possible. Propos recueillis par Agnès Cussonneau


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