Impact grandissant de la maladie de Mortellaro, intensification alimentaire, temps rallongé sur les sols bétonnés, surpopulation des étables… Les membres des vaches sont mis à rude épreuve. Mais une laitière qui en a plein les pattes ne prend plus son pied dans le troupeau : elle se déplace moins, fréquente moins l’auge, le Dac ou le robot, ingère moins, baisse en production, voit ses performances de reproduction et son immunité se dégrader… Jusqu’à parfois risquer la réforme.
Engrenage pervers ou mauvaise pente, ces réactions en chaîne engendrent une accumulation de petites pertes économiques qui peuvent finir par peser lourd. Oui, quand les animaux souffrent de boiterie, c’est tout l’élevage qui boite. Voilà pourquoi, le mois dernier, les praticiens ruraux membres des Groupements techniques vétérinaires (GTV de Bretagne) avaient choisi d’animer leurs rencontres départementales du Breizh Vet Tour autour de la question de la santé des pieds et des boiteries. Ce dossier est extrait de leurs interventions devant les éleveurs participants. Toma Dagorn[nextpage title=”Pourquoi ma vache boite ?”]
Si l’origine d’une boiterie peut être variable, dans 9 cas sur 10, le problème se situe dans le pied. L’important reste d’observer régulièrement ses animaux pour réagir et soigner précocement.
Fracture de la corne, abcès de la sole ou clou de rue, décollement ou dédoublement de la sole, cerise, décollement de la corne du talon, limace, nécrose de la pince… Il existe un grand nombre de lésions observables sous le pied d’une vache. Caractéristiques d’un ensemble de maladies qui provoquent la boiterie. « De façon générale, si l’on établit une liste de ce qui fait boiter, les causes sont nombreuses », explique le vétérinaire David Troalen. On peut citer :
- Tous les traumatismes qui touchent les membres, « Fractures, fêlures… de l’épaule ou de la hanche jusqu’au boulet. »
- Des maladies infectieuses, c’est-à-dire qui sont véhiculées par des agents infectieux comme les bactéries (panaris, dermatite digitée…) et des arthrites. « Si ces arthrites concernent le pied, elles sont souvent la conséquence d’une aggravation d’une lésion non guérie. »
- Des maladies métaboliques comme l’acidose et la cétose (ou acétonémie). « Ces maladies font boiter de façon indirecte en induisant des phénomènes qui vont provoquer des lésions. »
- Des atteintes du système nerveux. « Des nerfs qui passent par le bassin innervant les membres peuvent être lésés et provoquer des boiteries. Par exemple, une atteinte du nerf honteux après un vêlage difficile ou une atteinte du nerf sciatique. »
- Des atteintes du système vasculaire (veines et artères). « Certaines zones du membre peuvent alors être mal irriguées, ce qui peut provoquer des boiteries. »
[caption id=”attachment_3450″ align=”aligncenter” width=”300″] Dr David Troalen (deuxième à droite), membre des GTV de Bretagne.[/caption]
Mais le praticien ajoute cet important commentaire : « Attention, il faut surtout bien avoir à l’esprit que dans 9 cas sur 10, quand une vache boite, le problème se situe bien dans le pied et non pas au niveau de la hanche ou de l’épaule.
La détection précoce des boiteries, clé de la réussite
La chose à retenir est que plus vous détectez tôt les boiteries, c’est-à-dire au stade où la posture est juste légèrement modifiée, plus vous avez de chance de maîtriser la situation et moins les boiteries auront d’impact sur l’économie de votre élevage (maîtrise des baisses de lait, de la dégradation des performances de reproduction et des réformes prématurées). Nous vous invitons à être régulièrement attentifs à la posture de vos animaux en effectuant un exercice de notation de façon régulière (un à deux par mois). Il faut donc être vigilant car certains signaux doivent vous faire penser à un éventuel début de boiterie :
- Toute baisse de consommation,
- Baisse de production,
- Absence de manifestation de chaleur,
- Baisse de fréquentation au robot (retards de plus de 12 h).
Et dans 90 % des cas sur les membres postérieurs, les lésions se situeront sur l’onglon externe. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il faut se contenter de ne gratter que les onglons externes. Il est important de toujours regarder les 2 onglons, ne serait-ce que pour parer afin de rétablir l’équilibre global du pied. » Sans oublier ensuite de penser à l’équilibre entre les deux membres. Toma Dagorn
Quand s’inquiéter ?
« La note de locomotion, quand la vache marche : dos plat ou courbé, amplitude de la foulée, membre favorisé par rapport à l’autre… La posture des animaux à l’arrêt, bloqués au cornadis : soulagement intermittent du pied, qualité des aplombs et parallélisme des membres, courbure de la ligne de dos… Noter, ce n’est pas difficile. La méthode d’observation s’acquiert facilement. Si besoin, l’éleveur peut demander à son vétérinaire de le former. Ensuite, l’objectif est de noter ses animaux, une ou deux fois par mois, pour intervenir tôt en préventif. Les seuils d’alerte sont atteints quand moins de 70 % des vaches ont une posture normale (c’est-à-dire bien campées sur leurs deux pieds sans rotation des membres) ou que plus de 15 % boitent (posture sévèrement modifiée)… Il est alors temps d’opérer un parage ou de soupçonner un problème alimentaire. »
Les vétérinaires invitent tous les éleveurs à lever les pieds de leurs vaches au premier signe de boiterie. L’occasion, dans la mesure des connaissances acquises, d’identifier la pathologie en cause et de recourir à un parage pour soulager l’animal. En attendant l’intervention d’un spécialiste si nécessaire.
« La fourbure est une des maladies les plus fréquentes, suivie par la dermatite digitée (qui se développe de plus en plus dans les troupeaux), puis par le fourchet. Le panaris est lui beaucoup moins fréquent mais peut apparaître par flambée dans vos troupeaux et touche rapidement plusieurs bovins ce qui peut faire penser à tort que c’est une maladie très fréquente », énumère Dr Élisa Magdaléna Trouvé.
Ces grandes maladies du pied peuvent être réparties en 2 catégories : les maladies non infectieuses (qui ne font intervenir aucun agent infectieux) et les maladies infectieuses provoquées par des agents infectieux (en l’occurrence toujours des bactéries). À noter aussi que toutes ces maladies sont très souvent réunies dans un même cheptel ; les vétérinaires dénoncent souvent « une association de malfaiteurs » au sujet des problèmes de boiteries.
Un animal qui boite est un animal qui a mal
« Dans tous les cas, n’oubliez surtout pas qu’un animal qui boite, quelle que soit l’origine de sa boiterie, est un animal qui a mal et que par conséquent il faudra respecter le schéma d’intervention suivant. Dans un premier temps, lever le pied pour identifier la ou les lésions, les traiter de façon efficace et rétablir les aplombs pour obtenir des appuis équilibrés. Puis dans un second temps, ou de façon simultanée, administrer un anti-inflammatoire à la dose adéquate en respectant le protocole de soins et les délais d’attente des spécialités injectées. Attention, sur le marché, certains anti-inflammatoires actuellement sans délais d’attente vont bientôt en avoir un : faites le point avec votre vétérinaire. »
« Pas de parage sauvage en salle de traite »
Même si cela peut paraître une lapalissade, « pour détecter et bien identifier ces maladies, il faut… soulever les pieds », insiste la praticienne. Avant de poursuivre : « La règle n°1 est d’intervenir en toute sécurité. Le parage sauvage en salle de traite, c’est interdit. D’ailleurs, un éleveur breton s’est cassé le bras en fin d’année en voulant soigner un animal en fin de gestation de cette manière… »
Si le « serre-jarret par exemple est à oublier », il existe aujourd’hui sur le marché du « très bon matériel de contention pour lever les pieds à des tarifs variables, certes, mais parfois très abordables avec un excellent rapport qualité-prix. » Des moyens efficaces pour la sécurité de l’animal et de l’opérateur. « Cette sécurité vous apportera toujours le confort de travail et du coup, par la même occasion, le plaisir de parer », confie Élisa Magdaléna Trouvé.
Parage ou ensilage, toujours des couteaux bien affûtés
Pour la vétérinaire, ce confort et ce plaisir de soigner les pieds s’obtiennent aussi en respectant la règle n° 2 : « Travailler avec du matériel de parage de qualité, bien affûté et propre. Sans cela, pas d’intervention efficace possible. De la même manière que vous n’allez pas ensiler avec une ensileuse aux couteaux non affûtés… » Et la propreté ne suffit pas : « Il est conseillé de désinfecter les outils après chaque animal pour éviter les contaminations entre animaux. »
[caption id=”attachment_3453″ align=”aligncenter” width=”300″] tant la règle n° 2 : « Travailler avec du matériel de parage de qualité, bien affûté et propre.[/caption]
Savoir s’arrêter à temps
Mais attention, « trop de parage tue le parage. » La dernière règle à respecter, « c’est d’être conscient de ses limites et de ne pas faire du parage par excès qui risque de faire boiter encore plus la vache avant qu’après. Au moindre doute mieux vaut reposer le pied, administrer un anti-inflammatoire et appeler un spécialiste. » Toma Dagorn
L’avis de Christian Engel, Vétérinaire en Bretagne
Pour maîtriser l’approche des boiteries, il est important d’avoir acquis des connaissances de base qui vous permettrons de travailler de façon efficace tout en comprenant ce que vous allez trouver sous les pieds de vos animaux. Vous verrez alors que ces pieds vous parleront : ils stockent l’historique de ce qui s’est passé dans votre troupeau des jours, des semaines, voire des mois auparavant. Si nécessaire, pour votre formation personnelle sur la santé des pieds, les vétérinaires sont de bons interlocuteurs. N’hésitez pas à solliciter vos praticiens. [nextpage title=”« La fourbure, seule maladie non infectieuse du pied »”]
L’origine de la fourbure n’est pas une contamination. Elle est généralement la conséquence d’un défaut d’équilibre alimentaire et / ou de confort et de conduite au bâtiment.
« À l’origine de la fourbure, il y a toujours un basculement de la 3e phalange, le dernier os du pied », explique le vétérinaire Julien Houard. La vache est naturellement prédisposée à ce basculement du fait des espaces relativement importants qui existent entre la boîte cornée (« équivalent de notre chaussure ») et les os et tissus qui se trouvent à l’intérieur (« équivalent de notre pied »). La chaussure étant toujours trop grande à son pied, « la phalange risque, au moindre défaut, de basculer, de se retrouver à fleur de la corne et de provoquer une douleur vive associée à une modification des appuis » : l’animal va alors avoir tendance à poser son pied sur les zones les moins douloureuses.
Ouverture de la ligne blanche, bleime et ulcère de la sole
Plusieurs lésions trouvées sous le pied doivent faire penser à la fourbure :
- La muraille, « qui est le rebord du sabot », peut se retrouver trop sollicitée par ces modifications d’appui. Fragilisée, elle se fend. C’est ce que l’on appelle une « ouverture de la ligne blanche », la ligne blanche étant la zone de jonction entre la muraille et la corne du plat du pied. « Attention, terre et bouse peuvent se glisser dans cette ouverture jusqu’à provoquer un abcès. »
- Ces modifications d’appui peuvent aussi entraîner « des dommages vasculaires, des hémorragies » à l’endroit où l’os du pied, qui a basculé (la 3e phalange), se trouve le plus proche de la corne, du fait d’une pression importante exercée à cet endroit. Ces hémorragies sont aussi appelées « bleimes ». « En se dissipant, avec le temps, elles donnent une coloration jaune à la corne. »
[caption id=”attachment_3459″ align=”aligncenter” width=”225″] Ouverture de la ligne blanche et bleime[/caption]
- Puis à la suite de cette hémorragie, la corne arrête d’être produite à cet endroit. Elle se fragilise et se creuse là où la 3e phalange est le plus proche de la surface, ce qui provoque un « ulcère » : les tissus du pied « sont à fleur de corne, on tombe aussitôt sur le vif au parage. » Les animaux attendant pour manger ou se coucher sont exposés
[caption id=”attachment_3458″ align=”aligncenter” width=”300″] Ulcère[/caption]
- Les éléments qui ont tendance à provoquer des lésions de fourbure sont de deux types : d’une part, l’acidose et d’autre part, une station debout pendant un temps trop long dans la journée. « Le cumul de pressions excessives exercées sur les pieds a tendance à fatiguer les tissus, notamment les ligaments. Ces derniers en s’étirant donnent plus de possibilités de mouvement à la 3e phalange et favorisent son basculement. »
Tout un ensemble de facteurs a tendance à augmenter les périodes passées par les vaches sur leurs pattes. D’abord, le manque de places à l’auge : « Si les animaux n’ont pas accès de façon aisée et rapide à la ration, ils attendront leur tour debout ou seront obligés de faire plusieurs tentatives pour y accéder. Les relever et coucher seront donc plus fréquents. » Ensuite, le manque de place de couchage : « De la même façon, les animaux seront contraints de rester debout plus longtemps en attendant de trouver une place pour se coucher. »
Avec des logettes mal conçues, la vache reste trop longtemps debout
Les défauts de conception des logettes peuvent engendrer des temps de coucher et/ou de relever trop longs avec des défauts d’appui importants. De même, l’animal qui craint l’entrée en logette va repousser ce moment, « piétiner, multiplier les allers-retours et stationner beaucoup plus longtemps debout » au détriment de ses membres. « Quand tout se passe bien une vache doit se coucher en 6 à 7 secondes à partir du moment où elle a commencé à initier le mouvement. Et ce mouvement doit être fluide. » Si ce n’est pas le cas, il faudra vérifier les réglages des logettes, notamment le positionnement de la barre au garrot, « en prenant bien en compte le fait que ces réglages doivent être adaptés aux vaches ayant les plus grands gabarits. »
Attention aux zones de bousculade
Les zones de bousculades sont également propices aux modifications intempestives d’appuis pouvant provoquer un basculement de la 3e phalange. Dr Julien Houard égraine : « Le risque de violentes pressions au niveau des pieds est donc élevé lorsque les aires d’exercice sont trop étroites pour que les animaux puissent se croiser sans se pousser.
Le conseil du véto
Pour épargner les membres des vaches et limiter le risque de fourbure, ne pas dépasser 1 h 30 de traite, 2 h grand maximum à condition de disposer d’un parc spacieux.
Ou lorsqu’il y a des zones en cul-de-sac dans le bâtiment où les vaches peuvent se retrouver entassées. Les parcs d’attente de salle de traite pas assez spacieux sont aussi de parfaits lieux de bousculades. » De la même manière, quand le temps de traite est trop long, la station debout est nettement rallongée pour les animaux traits en dernier : « Ne pas dépasser 1 h 30 de traite, 2 h grand maximum à condition de disposer d’un parc spacieux. » Toma Dagorn[nextpage title=”Le fourchet, talon d’Achille de la vache en déficit énergétique”]
Quand les animaux passent trop de temps les pieds dans des zones de macération, les bactéries en profitent pour coloniser et nécroser les talons.
Le fourchet correspond à une inflammation marquée du talon causée par une prolifération de bactéries : Dichelobacter nodosus et Fusobacterium necrophorum. Celles-ci s’y multiplient lorsque l’environnement est trop humide et donc par conséquent lorsque le talon se retrouve trop souvent et trop longtemps dans l’humidité (eau, boue, bouse). « Les lésions de fourchet sont ainsi plus fréquentes en période hivernale lorsque les animaux ne sortent pas et qu’il y a une dégradation des conditions du milieu », précise Dr Philippe Verdoolaege.
La multiplication de germes au niveau du talon provoque un creusement de la peau. « Cette érosion laisse apparaître des « sillons » en V de part et d’autre du talon. » Sans être très douloureuse, cette lésion induit une gêne « comme de petites brûlures » et l’animal va avoir tendance à soulager son talon en le décollant régulièrement du sol : « Il piétine sur place. » Au bout d’un certain temps ce soulagement du pied, « qui n’est pas suffisamment longtemps au contact d’une surface abrasive », provoque un défaut d’usure du talon. La corne s’épaissit, se dédouble parfois, devient fragile et se dégrade. Enfin, « un ulcère apparaît alors au stade ultime sous l’épaisse couche de corne. »
À la chasse aux zones humides ou souillées
Une station debout trop longue ou un passage trop fréquent des animaux dans des zones d’humidité dans le bâtiment et/ou à l’extérieur ont tendance à provoquer des lésions de fourchet. « Pour éradiquer la pathologie, il faudra dans un premier temps veiller à limiter au maximum ces secteurs humides qui favorisent la macération : parcours boueux en sortie de bâtiment, fuites des abreuvoirs, stagnation des eaux de lavage de la salle de traite, les lieux de stagnation des animaux avec présence importante de bouses devant les Dac et les râteliers par exemple… » Attention également aux défauts de raclage : « Sa qualité dépend notamment de l’usure du caoutchouc et de la fréquence de travail, 4 passages minimum par jour sont recommandés. » Ou encore à l’insuffisance de ventilation dans le bâtiment, « qui pourra être mise en évidence par l’odeur d’ammoniac qui peut se dégager. »
La vache maigrit et perd de l’amorti
Outre la propreté de l’environnement du troupeau, le déficit énergétique favorise le fourchet. « Tout amaigrissement des animaux a une conséquence directe sur les pieds et principalement sur la zone du talon », résume Philippe Verdoolaege. En effet, le talon est en majorité constitué d’un coussinet graisseux. « Cette couche de graisse a donc tendance à fondre lorsque la vache maigrit. De ce fait, l’épaisseur du talon diminue et l’animal se retrouve avec la peau de l’arrière du pied beaucoup plus proche du sol, jusqu’à baigner dans l’humidité et la bouse. » C’est tout bénéfice pour les bactéries qui en profitent pour s’installer.
Pour le praticien, l’éleveur doit veiller à limiter au maximum l’amaigrissement des animaux tout au long de la lactation. « Et plus particulièrement en début de lactation, période la plus délicate du fait du décalage physiologique chez la vache entre sa capacité d’ingestion et ses besoins énergétiques. »
Haute perchée sur les talons en début de lactation
Il faudra donc maîtriser : la concentration énergétique et l’encombrement de la ration –« plus la ration est encombrante, moins elle est apte à apporter l’énergie suffisante pour couvrir les besoins de l’animal »-, ainsi que la transition alimentaire de la période sèche au début de lactation « afin d’optimiser le développement des papilles du rumen et de favoriser le développement d’une flore ruminale efficace… » Ainsi, la vache perdra moins d’état après vêlage. Restant haute perchée sur ses talons en début de lactation, elle sera davantage à l’abri des germes du fourchet. Toma Dagorn[nextpage title=”très contagieuse dermatite digitée”]
« Troisième lésion podale en fréquence après l’érosion du talon et les bleimes », la maladie de Mortellaro est notamment causée par des bactéries très tenaces qui se cachent dans l’épiderme de l’animal.
La dermatite digitée, encore appelée maladie de Mortellaro, a été découverte en 1974 par le professeur italien Mortellaro. Depuis, cette maladie infectieuse prend une place de plus en plus importante dans les troupeaux parce qu’elle a la particularité d’être très contagieuse. Elle est facilement identifiable : « Une ulcération superficielle de la peau se situant à la jonction onglons/ peau à l’arrière du pied. Le plus souvent sur les postérieurs », décrit Dr Pierre Laurière. Ces lésions granulomateuses, très douloureuses les premiers jours poussant la vache à marcher sur la pointe du pied, sont rondes, rouges et entourées d’un liseré blanc.
[caption id=”attachment_3467″ align=”aligncenter” width=”225″] Lésion granulomateuse ronde et rouge à l’arrière du pied.[/caption]
Tréponèmes, agents majeurs cachés en profondeur
La dermatite digitée fait intervenir différentes bactéries, dont Dichelobacter nodosus et Fusobacterium necrophorum comme pour le fourchet, mais aussi et surtout des bactéries d’un genre un peu particulier que l’on appelle les tréponèmes. Ces derniers ressemblent à des filaments qui pénètrent et se positionnent très en profondeur dans la peau ce qui les rend difficilement accessibles pour être détruits : « Même un antibiotique par voie générale ne les atteindrait pas, une injection est donc inutile. » Pire, « il n’y a à ce jour pas d’éradication totale possible, contrairement à ce que certains vendeurs de solution miracle avancent parfois », reprend le vétérinaire. « Lorsque vous traitez une lésion de dermatite, la seule guérison possible est une guérison temporaire, parce que vous parvenez à détruire les tréponèmes se trouvant en surface, mais vous n’atteignez pas ceux qui se trouvent en profondeur.Voilà pourquoi on observe souvent des rechutes quelques semaines après avoir soigné des lésions de dermatite si aucune action complémentaire n’a été mise en place. »
Limiter les risques d’introduction de la maladie
Pour éviter l’entrée de la dermatite digitée, « une maladie qu’on achète », dans votre troupeau, les vétérinaires conseillent :
- de limiter les achats de bovins venant de l’extérieur. Et si une véritable quarantaine est difficilement envisageable dans la pratique, il est absolument nécessaire d’effectuer un contrôle des pieds des animaux avant transaction pour s’assurer de l’absence de lésions de dermatite
- d’exiger de vos intervenants pareurs des bonnes pratiques de nettoyage et de désinfection de leur matériel (reinettes, disques de meuleuse, cage…)
C’est ce qui explique aussi l’évolution de cette maladie dans les troupeaux : « Des phases de flambées où le nombre de vaches atteintes de lésions actives est important. Puis des phases plus calmes avec toujours un petit bruit de fond, avec alors moins d’animaux touchés, mais jamais zéro. » Sur le terrain, éleveurs, pédicures et vétérinaires cherchent donc à « contrôler cette maladie qui devient endémique, à la contenir… »
La dermatite ne marche jamais seule
Le praticien souligne aussi l’importance d’avoir à l’esprit qu’une contamination expérimentale de la maladie sur des pieds sains, « c’est-à-dire des pieds propres, secs, ne macérant pas dans l’humidité et/ou la bouse, d’animaux en bonne santé », n’a jamais été possible à ce jour. En d’autres termes, pour que la maladie se développe, il est nécessaire que les conditions d’élevage soient dégradées : déséquilibre alimentaire, défauts d’hygiène, zones traumatiques… La dermatite digitée est donc souvent retrouvée dans les troupeaux en association avec d’autres maladies du pied, comme la fourbure et/ou le fourchet… « La dermatite n’agit donc que rarement, voire jamais, seule », résume le vétérinaire.
7 à 9 élevages sur 10 concernés
La dermatite digitée touche à ce jour 70 à 90 % des exploitations laitières en Europe et aux États-Unis. Dans un élevage touché, la proportion de vaches atteintes peut être extrêmement variable en fonction des mesures de maîtrise (hygiène, prévention, détection, traitement…) mises en œuvre : cela peut varier de 5 % des animaux à 85 % quand les conditions d’élevage sont déplorables. On observe généralement des pics ou flambées de dermatites avant que la pression ne redescende temporairement.
Limiter l’impact à moins de 20 % d’animaux atteints
Outre le traitement des lésions de manière individuelle et des mesures de prévention collective (pédiluve, pédipoudre…), la maîtrise de cette pathologie passe aussi par des efforts pour limiter la présence de zones d’humidité dans l’environnement des vaches et gommer tout défaut d’hygiène (raclage trop peu fréquent par exemple). Quand la dermatite s’est installée dans un élevage, l’objectif est généralement d’arriver à travers le plan de contrôle à limiter l’impact à moins de 20 % d’animaux atteints. Toma Dagorn[nextpage title=”« Soudain, enflé, chaud et rouge, c’est le panaris »”]
Les zones humides, sales ou traumatisantes fragilisent les pieds et favorisent l’installation de germes entre les deux onglons.
Le panaris, parfois appelé piétin ou phlegmon interdigité, est causé par des bactéries (Dichelobacter nodosus et Fusobacterium necrophorum) qui contaminent l’espace interdigité. Elles profitent d’une fragilisation de cette zone pour parvenir à pénétrer à l’intérieur.
Le conseil du véto
Attention, le panaris est une maladie relativement contagieuse qui peut parfois présenter un caractère épidémique. Tant que les facteurs de risque sont présents (zones humides, parcours traumatisant, défaut d’hygiène…), les cas peuvent se succéder.
Les facteurs déclenchant du panaris sont donc « tous les éléments qui peuvent fragiliser la peau entre les deux onglons comme des objets ou des zones traumatisantes (cailloux sur les parcours, trous sur les chemins et en bâtiment) mais aussi le développement de la dermatite digité qui rend la peau vulnérable. Auxquels il faut ajouter la présence de zones d’humidité -parcours boueux, zones d’eau stagnante, accumulations de bouses …- qui favorisent la macération des pieds », prévient le vétérinaire Cyrille Chevalier.
[caption id=”attachment_3471″ align=”aligncenter” width=”225″] Le postérieur droit de cette vache présente un panaris : le pied est rouge et enflé au-dessus des deux onglons à la fois.[/caption]
Une fois les germes installés dans l’espace interdigité, « s’ensuivent alors des signes très caractéristiques à bien avoir à l’esprit : la boiterie est soudaine, douloureuse, le pied est chaud et rouge, et enflé de façon symétrique, c’est-à-dire au-dessus des deux onglons à la fois. »
Un gonflement asymétrique ?
Si vous détectez un gonflement non symétrique (qui ne s’installe pas de façon symétrique au-dessus des deux onglons du pied), le panaris ne sera pas soupçonné. C’est plutôt qu’il y a un risque d’installation d’une arthrite. Dans ce cas une intervention d’un vétérinaire est fortement recommandée.
« Retenez surtout que si le gonflement n’est pas symétrique, il ne s’agit jamais d’un panaris ! », martèle le spécialiste. Avant d’insister : « Le panaris est la seule maladie du pied qui se traite avec un antibiotique administré par voie générale, car les bactéries sont installées en profondeur dans les tissus. Sur les autres lésions du pied, les antibiotiques ne sont jamais indiqués et ne seront d’aucune efficacité. » Refroidir le membre en versant de l’eau froide plusieurs fois par jour peut aussi aider à soulager et désenfler. Toma Dagorn