Une étonnante pratique funéraire

Dans certaines églises et chapelles de Bretagne, le visiteur attentif peut remarquer, accrochées aux murs, alignées sur une porte ou dans un ossuaire, de petites boîtes de bois décorées.

Les boîtes à crâne à la cathédrale de Saint Pol - Illustration Une étonnante pratique funéraire
Les 32 boîtes contenant des crânes de fidèles décédés, sur « les étagères de la nuit », 
à la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon (29).

Saint-Pol-de-Léon (29)

On en dénombre 66 en Bretagne. Le plus bel ensemble se situe à la cathédrale Saint-Pol-Aurélien à Saint-Pol-de-Léon (29), avec une trentaine de boîtes. Si elles se retrouvent aujourd’hui rangées dans un enfeu (niche funéraire), alignées sur trois étagères et protégées de la profanation ou du vol derrière une grille, il n’était pas rare de les voir disposées autrefois autour du chœur, accrochées aux murs des églises, nichées au-dessus des confessionnaux, ou placées dans les ossuaires. Mais que contiennent-elles ? Ni reliques sacrées ni objets liturgiques… juste des crânes des défunts de la paroisse.

Une tradition à son apogée au XIXe siècle

Ces « boîtes à crâne », appelées aussi boîtes à chef, témoignent d’une pratique funéraire particulière en Europe, longtemps répandue en Bretagne du XVIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Elle est également observée en Lorraine, ainsi qu’en Autriche et en Haute-Bavière. Le plus ancien crâne est conservé à Saint-Pol-de-Léon (29), avec une date de décès remontant à 1552. Le plus récent, daté de 1909, est situé à Saint-Fiacre (22).

Quand les cimetières débordaient

Les morts étaient enterrés dans les églises – jusqu’en 1719 – ou dans le cimetière paroissial, souvent situé autour de l’église. Faute de place dans ces églises ou les enclos paroissiaux, les fosses étaient régulièrement ouvertes et vidées pour laisser place à de nouvelles sépultures ; les corps des anciens occupants étaient transférés avec respect dans un ossuaire, aussi appelé reliquaire, pendant quelques années, avant de rejoindre la fosse commune lors de la cérémonie dite des « secondes funérailles », le jour de la Toussaint. Mais l’exhumation des ossements les rendant anonymes, certaines personnes bénéficiaient d’un traitement particulier, le « décollement du chef ». Si l’identité de la dépouille était connue, on remettait en effet le crâne à la famille. La tête était ainsi séparée du corps, placée dans une petite boîte qui pouvait rester dans l’église. La mémoire du défunt était ainsi préservée. Son crâne restait visible, ce qui, par extension, évoquait le souvenir de son visage.

Une mémoire familiale et communautaire

Ces petites chapelles sont généralement en bois peint. Elles sont surmontées d’une croix, et y figurent peints à la main le nom ou les initiales du défunt ou de la défunte, reprenant la formule « ci-gît le chef de… », la date de sa mort et, parfois, sa position sociale, le nom de proches ou une prière. Une ouverture, souvent en forme de cœur, voire en forme de trèfle, de fleur ou un simple rond, laisse apparaître d’ordinaire l’arrière du crâne, par pudeur. Ce dernier devenait ainsi une sorte de « relique familiale », gardée dans le sanctuaire de la paroisse. La présence de ces boîtes rappelait à tous la proximité de la mort et l’importance de prier pour les âmes du purgatoire. Elles incarnaient à la fois la piété des vivants et le lien symbolique avec les générations passées.

Un art populaire méconnu

Si leur fonction était avant tout spirituelle, les boîtes à crâne sont aussi des objets d’art populaire. Toutes les catégories sociales se côtoient. Si dans un premier temps les notables y ont le plus recours, ces derniers seront les premiers à choisir les concessions à leur apparition. Mais les familles modestes, n’ayant pas les moyens de s’offrir ces nouveaux emplacements individualisés, verront dans ces contenants un moyen de personnaliser la sépulture de leurs proches, d’où l’apogée de cette pratique au XIXe siècle. On y retrouve ainsi des notables, des hommes du clergé, mais également un charcutier, un fournier, des filandières, un notaire ou un médecin sur les « étagères de la nuit », à Saint-Pol-de-Léon… Si certaines sont de simples coffrets de bois avec des décors très sobres, d’autres sont richement peintes, ornées de croix, de cœurs, de têtes de mort ou de symboles chrétiens. Ce décor rend aujourd’hui chaque pièce unique, un précieux témoignage du savoir-faire artisanal local et de l’imaginaire religieux breton.

Un héritage fragile mais précieux

Fragiles, beaucoup ont disparu avec le temps. Mais si la tradition a persisté jusqu’au début du XXe siècle, la pratique a disparu, avec l’évolution des règles sanitaires et des mentalités. La démocratisation des concessions funéraires associée à de nombreux moyens modernes de conserver la mémoire des défunts, à commencer par la photographie, a rendu définitivement désuètes les boîtes à crâne.

Mais on peut encore en admirer des collections remarquables dans certaines paroisses. Elles rappellent que la Bretagne, terre de traditions, a longtemps cultivé une relation intime et décomplexée avec la mort, où le souvenir des ancêtres s’inscrivait dans le quotidien de la communauté.

Carole David

Surtout en Finistère et Côtes-d’Armor

Dans le Finistère, la plus grande collection de la région regroupe 32 boîtes à ossement exposées dans la cathédrale Saint-Pol-Aurélien à Saint-Pol-de-Léon. 25 boîtes à crânes sont aussi conservées dans les Côtes-d’Armor, visibles au-dessus du porche de l’église à La Méaugon ou à Lanloup, dans la chapelle Kermaria an Iskuit de Plouha ou dans l’ossuaire à Saint-Fiacre. D’autres ne sortent qu’en de rares occasions, comme à Plouzélambre qui recueille une pièce unique, sous forme de boîte à chefs triple, renfermant les trois crânes d’un couple de laboureurs et de leur fils. Dans le Morbihan, on trouve des crânes incrustés dans les murs des chapelles, parfois sans boîte, comme à Pluméliau, à Sarzeau ou à Guern. Si des écrits attestent son existence en Ille-et-Vilaine, il n’existe aujourd’hui aucune boîte à crâne encore visible.


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