Trois voix venues d’horizons complémentaires ont croisé leurs regards : Gabriel Taquet, ingénieur maritime reconverti en horticulture et membre du projet l’Alterfixe ; Anne-Sophie Trubert Paing, directrice de la MFR de Montfort-sur-Meu et Romain Marqué, agriculteur en Gaec au Rheu (35). Le débat, animé par Emmanuelle Nave, directrice de la transversalité chez Groupama Loire Bretagne, a mis en lumière un secteur à la fois fragilisé et porteur d’un formidable élan de sens.
« On ne nourrit pas seulement les hommes, on fait vivre un territoire. »
Des vocations qui renaissent
Pour Anne-Sophie Trubert Paing, les MFR constatent une évolution nette : « De plus en plus de jeunes non issus du milieu agricole franchissent la porte de nos formations. Ils recherchent du sens et un contact concret avec le vivant. » Cette ouverture, si elle réjouit les formateurs, se heurte encore à la réticence de certains parents. « Par méconnaissance, ils redoutent un métier perçu comme dur ou incertain. » Or, les chiffres parlent d’eux-mêmes : d’ici 2050, près de la moitié des exploitants bretons partiront à la retraite, alors qu’à l’heure actuelle on dénombre seulement une installation pour deux départs. L’enjeu du renouvellement est donc vital.
Reprendre autrement
Gabriel Taquet, dont la structure accompagne les reprises et installations collectives, pointe un fossé grandissant entre générations : « Les cédants ont une vision patrimoniale, les nouveaux arrivants cherchent davantage le collectif et la résilience. » Les fermes s’agrandissent, les capitaux aussi. « Souvent, il est plus simple de vendre à un voisin qu’à un jeune porteur de projet », regrette-t-il. Pour réduire cet écart, Alterfixe organise des rencontres où citoyens, agriculteurs, collectivités et porteurs de projets construisent une culture commune. L’installation en collectif s’impose comme une voie d’avenir : « Elle offre des congés, une diversité d’activités et une mutualisation du risque. »
Un métier qui a changé
Romain Marqué, lui, incarne cette génération d’agriculteurs qui assume un modèle conventionnel mais collectif. « On a une image datée du métier », sourit-il. « Aujourd’hui, on travaille à plusieurs, avec du matériel moderne et une vraie qualité de vie. » À la tête d’un Gaec de huit personnes, il insiste : « Nos salariés ne viennent pas du milieu agricole et gagnent mieux leur vie qu’avant. » Pour lui, la clé est la coopération : « Travailler à plusieurs, c’est se répartir les tâches selon les affinités, progresser ensemble et assurer la transmission en douceur. » Interrogé sur les transitions environnementales, l’éleveur rappelle : « L’agriculture évolue, mais pas d’un claquement de doigts. On travaille avec le vivant. » Sur sa ferme, les pratiques évoluent : label Haute valeur environnementale, réimplantation de haies, réduction des engrais grâce à la méthanisation collective. « À huit fermes, on alimente plus de 4 000 habitants en gaz vert », explique-t-il.
Face à lui, Gabriel Taquet plaide pour une action publique plus ambitieuse : « Les transitions ne se feront pas sans accompagnement ».

Former, tester, transmettre
Pour attirer de nouvelles vocations, la formation reste la pierre angulaire. « Il faut aller parler du métier dès le collège », insiste Anne-Sophie Trubert Paing. Les MFR, en lien avec les Chambres d’agriculture, proposent désormais des stages de découverte dès 14 ans : « Rien ne remplace une semaine sur le terrain pour casser les idées reçues. » La formatrice rappelle aussi que tous les modèles sont présentés aux jeunes : « Bio, raisonné, conventionnel : à chacun de choisir son chemin. »
En conclusion, chacun a livré une synthèse personnelle. Pour Gabriel Taquet, « devenir paysan, c’est choisir un métier de sens, au contact du vivant ». Pour Anne-Sophie Trubert Paing, « les carrières agricoles ne sont plus figées : on peut s’installer, se reconvertir, enseigner. C’est un secteur ouvert. » Et pour Romain Marqué : « On ne nourrit pas seulement les hommes, on fait vivre un territoire. C’est un métier exigeant mais épanouissant, où le collectif redonne de la force. »
Cette table ronde, conclut Emmanuelle Nave, illustre les mutations profondes d’un secteur en recherche d’équilibre entre compétitivité, durabilité et attractivité.« L’agriculture bretonne a toujours su se réinventer. Aujourd’hui, plus que jamais, elle a besoin d’hommes et de femmes pour la faire avancer. »

