Jamais la planète n’a produit autant de nourriture. En soixante ans, la production mondiale de volaille a été multipliée par seize, celle du soja par quinze, du porc par cinq, du blé par trois et du lait par près de trois. L’offre dépasse désormais les besoins de la croissance démographique. Et des océans de cargos relient sans relâche excédents et pénuries, d’un hémisphère à l’autre. Au point qu’on pourrait croire le marché agricole devenu insensible aux aléas. Un cyclone ici, une sécheresse là-bas : les greniers pleins d’un continent comblent les manques d’un autre. Cette géographie des matières premières agricoles octroie une certaine résilience au marché des commodités face aux chocs climatiques. Rassurant, en apparence…
Car si la météo seule ne dicte plus les cours, d’autres forces les gouvernent : la géopolitique, les coûts du transport, les politiques de stockage. Ce ne sont plus les nuages qui font trembler les marchés, mais les frontières. Un blocus, une taxe, un missile dans un détroit, et la mécanique du commerce s’enraye. La faim du monde ne vient plus du ciel, mais des frontières.
L’analyse sur le long terme montre que les prix agricoles stagnent
Dans ce grand ballet de l’abondance, les producteurs de tous les continents restent les grands perdants : trop de tout, mais pas assez de valeur. L’analyse sur le long terme montre que les prix agricoles stagnent, voire reculent. L’abondance permanente est l’ennemie des prix rémunérateurs. D’un côté, la planète veut des prix bas pour la stabilité ; de l’autre, les agriculteurs demandent des prix justes pour survivre. Deux logiques inconciliables.
Tant que la Terre produira “assez”, la valeur de cette abondance restera fragile. Et le climat, ironie du siècle, aura bon dos pour masquer la vraie menace : celle d’un monde où le pain reste bon marché, mais où ceux qui le cultivent en vivent plus difficilement.

