Christian Le Coeur est né pour devenir agriculteur, c’est dans ses gènes. Sa famille est sans doute l’une des plus anciennes à exercer le métier en Cornouaille. Elle est installée dans la vallée de l’Odet et aux portes de Quimper (29) depuis 500 ans. Il représente la 20e génération de cultivateurs. Oui, l’homme est devenu éleveur après une carrière en tant que cadre dans l’industrie. Ce changement de profession était nécessaire. Une passion, un destin tout tracé. Un paysan qui « aime les paysages », souligne-t-il.
Peindre me permet de défendre ce qui m’est cher
La ferme familiale se compose aujourd’hui d’un troupeau de vaches allaitantes qui paissent le long de la rivière ; des cultures diverses comme du blé, des lentilles ou du lin graine fleurissent les rotations. Mais le Finistérien a soif de culture, de connaissance, d’expériences. Tour à tour écrivain de récits romancés, de nouvelles et de poésies, puis de bandes dessinées, il se retrouve un beau jour à acheter du matériel pour pouvoir se consacrer à ce 9e art. Il en profite, un peu par hasard, pour prendre dans cette boutique de Quimper du matériel de peintre, avec une toile vierge et de la peinture à l’huile. Ces derniers resteront en sommeil dans un tiroir de la maison familiale pendant un an. Mais un dimanche après-midi, le support est ressorti pour être posé sur son chevalet, les tubes de couleur sont débouchés et les pinceaux saisis. « Je me suis mis à peindre ». 20 ans plus tard, 400 tableaux ont pris vie sous la main de l’éleveur. « Je n’en ai jamais vendu un seul », s’amuse-t-il.
Le regard : la vie
Peindre devient un support de communication, l’art permet « de défendre ce qui m’est cher. Quand je partage mes toiles, c’est l’agriculteur qui parle ». Aussi, se donner à cette activité créative « baisse la charge mentale : en 10 minutes, je suis ailleurs. Aujourd’hui, les agriculteurs font beaucoup de choses, entre leur travail, la famille et les autres activités, qu’elles soient culturelles ou associatives. C’est indispensable pour voir ce qui se passe ailleurs ».


Dans sa bulle, le peintre profite de la quiétude de cet ancien moulin où il habite. « Je peins toujours ici ». Hors de question pendant la réalisation de tableau d’écouter de la musique : le bruit frétillant de l’eau du bief suffit largement à sa concentration. Est-ce d’ailleurs un hasard (ou pas ?) si la majorité de ses œuvres ont pour cadre une rivière, une mer ou un fleuve ? Comme cette île Tristan, grain de beauté dans la baie de Douarnenez, que le paysan a fidèlement reproduit dans son atelier, en se basant sur une photographie. Mais la naissance de ce tableau a demandé du temps. « Il m’a fallu 10 ans. Je le considère comme terminé quand il a pris vie, c’est-à-dire quand les reflets ont été faits sur la mer ». Terre et mer, Armor et Argoat, Christian Le Coeur va même plus loin dans le décryptage de son œuvre, en se basant sur l’histoire indo-européenne et celte, et la légende de la ville d’Ys, citée engloutie par les eaux. Les bâtisses de son tableau, en se reflétant dans l’eau, représentent la possibilité de communiquer avec les esprits. Mais l’art est capable de nous amener sur un chemin sans fin. « Quand j’ai dévoilé ce paysage de l’île Tristan à des amis, certains ont vu dans ces reflets des personnages », peut-être l’âme toujours présente des anciens habitants des lieux…
En ce qui concerne les portraits, le paysan soigne les choses, avec 16 à 18 couches de glacis. Pinceaux mais aussi technique au couteau pour les finitions de grande finesse sont utilisés pour ajouter les nuances aux couleurs. 500 à 1 000 heures plus tard, ces portraits prennent vie quand la touche finale est apportée, quand le tout petit point blanc sur les yeux vient donner une dimension vivante à la personne.
Dans les pas de Turner et d’Aïvazovski
Pour les toiles de paysage, Christian Le Coeur admire Alfred Sisley, le Britannique Turner ou encore le Russe Ivan Aïvazovski, maître des scènes marines, et sans doute père « de l’impressionnisme. Pour les portraits, j’aime les clairs-obscurs de Le Caravage ou de Rembrandt, du Français Jean-Dominique Ingres ».
Depuis le paisible moulin ancestral, le Finistérien voyage et fait voyager, en prenant tout son temps. « Je suis incapable de faire un tableau en une journée, je dois travailler en profondeur ». Intarissable sur sa passion, il trouve son inspiration dans la nature et les choses simples, à son image.
Fanch Paranthoën
Accepté au salon des refusés
Christian Le Coeur exposera et expliquera son œuvre l’île Tristan du 29 octobre au 2 novembre lors du salon d’automne, au Grand Palais des Champs Élysées, à Paris. « Quand j’ai su que ma toile était sélectionnée, j’ai ressenti de la fierté une chaleur intérieure ». Historiquement, ce salon parisien se nommait Salon des refusés, car les nouveaux styles, faisant part d’une certaine modernité artistique, étaient en opposition au « goût officiel ». Pourtant, des peintres comme Auguste Renoir ou Claude Monet y ont participé.