Première guerre mondiale à Plouider: L’histoire ne fait que commencer

Grâce à des recherches minutieuses et approfondies, Yvon Gac a réalisé des fiches retraçant l’histoire des hommes mobilisés sur la commune de Plouider. Avec ses amis, il contribue au devoir de mémoire.

Des hommes devant le monument aux morts de Plouider - Illustration Première guerre mondiale à Plouider: L’histoire ne fait  que commencer
De gauche à droite : Goulven Caër, Roger Aballéa, Yvon Gac et Louis Larvor, entretiennent la mémoire 
des soldats. | © Paysan Breton FP

Tranquillement et sans faire de bruit, Yvon Gac installe le fruit de son travail dans la salle communale bien nommée « Espace Rencontres », car les rencontres sont au tournant. Ici, pas de grands déballages qui demanderaient une organisation hors pair. Non, Yvon est une personne simple, discrète. Pourtant, les classeurs disposés sur les tables cachent un véritable trésor… de guerre. Le Finistérien a mené un travail de fourmi, qui peut s’apparenter à une véritable enquête : il a répertorié, déniché des documents, fouillé les archives, pour coucher sur papier l’histoire de soldats de Plouider (29) mobilisés ou morts au combat pendant la Grande Guerre.

667 hommes ont été mobilisés. Les plus jeunes avaient 18 ans.

Dans ce village de la Côte des Légendes, « 667 hommes ont été mobilisés. Les plus jeunes avaient 18 ans, le plus âgé était né en 1867 (soit 47 ans en 1914). 15 % d’entre eux ont été tués, soit 108 victimes ». Et le spécialiste de continuer cet inventaire chiffré : « 134 ont été blessés, 34 sont revenus malades à cause des virus qui courraient dans les tranchées ». La commune qui comptait avant-guerre 2743 âmes a donc payé un lourd tribut, avec des enfants, des frères, des pères qui ne sont jamais revenus. Rappelons que chaque jour de guerre, plus de 1 000 hommes tombaient au front.

Ancien professeur d’histoire à Lesneven puis à Plouescat, Yvon Gac est passionné par cette matière. À sa retraite en 2010, il oriente ses travaux vers des évènements plus locaux. Le Plouidérois Yves Bossard avait déjà publié un ouvrage sur les Première et Seconde Guerres mondiales, intitulé « Mémoire des victimes des guerres du XXe siècle », Yvon Gac s’est associé à lui pour travailler sur les guerres d’Indochine et d’Afrique du Nord, mais dans le cadre élargi de la Communauté de communes qui a ensuite publié les deux ouvrages, consultables à la médiathèque. En 2014, année du centenaire, il n’a pas pu passer à côté de 14-18, et en a fait son cheval de bataille.

Suivre les soldats

C’est à partir de documents numérisés, de fiches de matricule ou d’avis de décès que l’historien arrive à recouper les histoires de ces hommes. Grâce à tous ces renseignements, « on sait dans quel régiment chacun était affecté. Chaque soldat changeait souvent de régiment ». Sur la fiche de l’un de ces Plouidérois, on peut lire la date de son incorporation au 39e régiment d’infanterie le 10 novembre 1891. On sait qu’il est « passé dans la disponibilité le 24 septembre 1892 », avant de passer dans la réserve de l’armée en 1894. Plus loin, il est écrit « Rappelé à l’activité par décret de mobilisation générale du 1er août 1914 ». Ce Finistérien a ensuite rejoint successivement le 3e, le 7e, le 10e, le 11e et le 69e régiment d’artillerie à pied ; ce soldat fut détaché agricole (catégorie A) le 31 juillet 1917 afin de revenir cultiver les terres et subvenir au besoin nourricier de la nation, puis rattaché au 118e régiment d’infanterie, pour enfin être « libéré de toute obligation militaire le 9 décembre 1918 ». Cette fiche se termine simplement par « se retire à Plouider ». Retour au pays donc. Mais d’autres histoires ne s’achèvent pas aussi bien, comme le combattant prénommé Jean-Marie, dont la fiche reprend sobrement la phrase « décédé le 17 janvier 1918 à l’ambulance à la suite de blessures de guerre ». Dès qu’il le peut, Yvon Gac agrémente la fiche du concerné de photos, de cartes, de tous les éléments en lien avec un lieu ou une date.

D’autres données « morphologiques » ont aussi été collectées. On sait par exemple que la taille moyenne des conscrits était de 1,61 m en 1818, 1,64 m en 1865 pour 1,67 m en 1910.

Aider la généalogie

« L’histoire ne peut pas se contenter de constituer une mémoire ordonnée, elle doit découler de l’exigeante volonté de savoir et de prendre un discours vrai sur le passé », résume Roger Aballéa, ami de longue date d’Yvon Gac. Le retraité aussi président de l’Union nationale des combattants (UNC) coule des jours paisibles dans sa commune, et aide l’historien dans ses recherches d’archivage. Il œuvre à ce que ces passages de l’histoire ne tombent pas dans l’oubli. Ainsi, le soldat Jean-François Guéguen, « mort à Verdun le 15 mars 1916, n’était pas inscrit sur le monument aux morts de Plouider ». Grâce à la ténacité de Roger, le nom du soldat tombé est désormais gravé en lettres noires sur la stèle commémorative. Les deux Bretons servent enfin la cause des personnes intéressées par la généalogie, qui pourront retrouver des moments du temps de leurs aïeux dans les documents. Les fiches sur les mobilisés et les victimes ont été données à Roger Aballéa et sont donc consultables auprès de l’UNC. Elles comportent, « en plus des renseignements militaires, les caractéristiques physiques du soldat car il n’y avait pas de photos d’identité : la couleur des cheveux, des yeux et des sourcils ; les formes du visage, du nez, de la bouche et du menton ; elles indiquent également le degré d’instruction ».

Plouider, comme de nombreux autres villages, a perdu dans ce conflit mondial bon nombre d’agriculteurs. « Les femmes ont tenu les fermes pendant le conflit, ce qui mériterait aussi d’être étudié », prévoit Yvon Gac, en guise de prochains travaux. Quand les cahiers de l’historien se referment à la salle Espace Rencontres, c’est la mémoire collective qui s’ouvre, nous rappelant sans cesse que notre devoir est de transmettre aux générations futures ces faits qui bâtissent nos vies.

Fanch Paranthoën

Une dernière lettre à ses parents

Très touchante, la lettre écrite par le caporal Eugène R., âgé de 21 ans en août 1915, « veille d’une attaque au front », note Roger Aballéa. Ce courrier démarre de la façon suivante. « À l’heure où vous aurez reçu cette lettre, je ne serai plus de ce monde. Je vous écris cette présente avant l’attaque et sera remise au vaguemestre par celui qui la trouvera sur moi ». Plus loin, le caporal précise « dites-vous bien que j’ai fait mon devoir jusqu’au bout, que je suis tombé pour vous défendre ». Puis, en guise de conclusion, « je vous embrasse de tout mon cœur, j’aurais désiré le faire de près […], vous revenir, mais la destinée est là, il faut s’y conformer ». Eugène R. fut tué le lendemain.


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