Marché du blé : et si on changeait de lunettes ?

L’analyse de marché du blé est complexe. Cette saison, plus que jamais, il faut savoir passer des lunettes de correction à la longue-vue panoramique…Et surtout sortir des sentiers battus.

Grains de blé et billets de banque américains - Illustration Marché du blé : et si on changeait de lunettes ?
Une fois n’est pas coutume, c’est bien aux États-Unis que pourrait s’écrire le prix du blé cette campagne. | © New Africa - stock.adobe.com

Les fondamentaux habituels ne sont pas vraiment de nature à faire sourire les vendeurs : en gros, une offre beaucoup plus importante que la demande en 2025/2026. La seule planche de salut serait potentiellement des éléments extérieurs géopolitiques, sanitaires ou météorologiques. Alors faut-il attendre ou bien larguer maintenant sa marchandise, avant que le bateau ne sombre complètement ? Un regard sur les 25 dernières années nous apprend qu’il n’existe pas forcément de lien inversement proportionnel entre les stocks chez les 8 principaux exportateurs et le prix mondial du blé. Lors de la Covid, la chaîne logistique a été malmenée et a entraîné une hausse des cotations dans un contexte d’offre théorique satisfaisant. En fait, il existe toujours des exceptions qui confirment (ou pas) des raisonnements semblant fort logiques. Il en est ainsi, du rapport entre le ratio stocks/consommation et le prix, ou entre le disponible exportable mer Noire et la consommation mondiale[1], du ratio blé/maïs[2].

Analyser le marché mondial en dollars

Alors, qui sont vraiment les adversaires du blé français dans les mois à venir ? Sans doute plus le blé américain que russe, mais aussi le riz et le maïs.

Raisonner en dollars

S’il faut bien se fixer des objectifs en euros lorsque l’on commercialise sa campagne ou que l’on se positionne aux achats, il est cependant nécessaire d’analyser d’abord le marché mondial en dollars. Les manœuvres de Trump pour faire baisser le billet vert sont connues et ont largement commencé. Cela pourrait continuer dans les prochains mois, et l’avenir du président de la Fed est à scruter de près. Le dollar a déjà reculé face aux monnaies de certains grands exportateurs comme la Russie, l’UE, le Canada mais aussi de pas mal d’importateurs (exemple du Mexique). Cela aide les USA à vendre et leurs clients à acheter. Pour autant, certains exportateurs de blé sont mieux lotis que d’autres. Si on regarde la situation par rapport à la même période l’an passé, l’Argentine (où la taxe export a été abaissée) et même l’Australie ainsi que l’Inde et l’Ukraine ont des taux de change plus favorables que les USA. Côté importateurs, les taux de change indonésien et égyptien restent peu favorables aux importations.

On le sait, il faudrait un blé payé au-dessus de 220-225 €/t sur Euronext pour que les céréaliers français respirent. C’est l’équivalent de 255 $/t à la parité actuelle (1,16) contre 242 $/t avec le taux de change d’il y a un an (1,1) et potentiellement 275 $/t si le taux de change passe à 1,25 ! Pour rappel, le SRW[3] vaut 197 $/t sur l’ensemble de la campagne 2025/2026, l’équivalent de 169 €/t (contre 198 €/t[4] sur l’ensemble de la campagne pour le blé français).

Make US Wheat Great Again

Les USA représenteraient 38 % des stocks de blé des 8 grands exportateurs fin 2025/2026, contre 30 % en 2023/2024. Cette hausse régulière ne peut pas continuer. D’autant que les récoltes de maïs et de soja vont aussi remplir des silos loin d’avoir été vidés avant l’arrivée des bonnes récoltes. Dans la région des Grandes Plaines (Kansas, Missouri), les volumes de grains pourraient représenter 130 % des capacités de stockage à l’automne.

Une fois n’est pas coutume, c’est bien aux États Unis que pourrait s’écrire le prix du blé cette campagne. Il faut surtout se focaliser sur les cotations du HRW[5], qualité la plus produite, la plus exportée et … la plus stockée. Il coûte actuellement moins cher que le SRW. Aidées par le dollar, ses ventes ont plus que doublé depuis le début de la campagne 25/26.

Outre-Atlantique, les coûts de production dépassent aussi le prix de vente. Mais pour garder l’électorat agricole captif, le prix de référence du blé a été augmenté de 15 % (232 $/t). En dessous de ce prix, une aide contracyclique se déclenche pour couvrir les coûts sur l’équivalent de 88 % du rendement historique. Pour rappel, et face à des coûts de production d’environ 200 €/t, le prix minimum d’intervention dans l’UE reste le même depuis 20 ans, soit 101 €/t, auquel on peut ajouter 30-40 €/t d’aides en plus.

Patricia Le Cadre, www.cereopa.fr

[1] La consommation mondiale a reculé quand les volumes Mer Noire disponibles baissaient d’au moins 5 Mt, mais quand ces tonnages augmentaient, cela ne s’est pas traduit forcément par une hausse des volumes consommés dans le monde.

[2] La consommation de blé mondiale n’augmente pas forcément lorsque le ratio blé/maïs est bas et ne baisse pas en proportion des hausses du ratio

[3] SRW (Soft Red Winter- 10% Protéines) coté à Chicago.

[4] Au 5/09/2025

[5] Hard Red Winter (blé meunier, 11% Protéines). 40 % de tous les blés disponibles contre 25 % pour le HRS (Hard Red Spring) et 16 % pour le SRW (Soft Red Winter) en 2025/2026.

Le maïs reste aux commandes

Nous l’évoquions dans ces colonnes début juillet, le maïs avait un fort potentiel de baisse cet été. Nous l’avons vérifié. C’est donc aussi sous la pression de la céréale fourragère, que le blé a reculé. Actuellement, les prix remontent à Chicago, alors qu’en France et en euros, ils restent orientés à la baisse. Au-delà du très bon rythme des ventes US (malgré l‘absence de la Chine), le marché réagit aux craintes formulées sur les rendements américains. En tablant sur une hypothèse pessimiste d’un recul de 2 % de ces derniers dans le prochain rapport de l’USDA (12/09), nous perdrions 8 Mt de production. Les stocks de report US augmenteraient de seulement 4 Mt au lieu des 12 Mt annoncés, mais dans un contexte mondial encore lourd. Rappelons que le Brésil a vaincu ses nœuds logistiques et les primes y rebaissent. Il a encore pléthore à exporter, tout comme l’Argentine et demain l’Ukraine. Reste à surveiller la demande, avec une UE plus captive que prévue et une Chine qui pourrait dépasser les attentes.

Le riz s’est dégonflé

En avril 2024, le riz atteignait son plus haut niveau depuis 2008, après que l’Inde ait introduit une série de restrictions à l’exportation. Cela avait déclenché une vague d’achats parmi les consommateurs et incité d’autres pays producteurs à prendre des mesures protectionnistes. La cotation du riz blanc thaïlandais a fait long feu, et s’affiche désormais au plus bas depuis 2017. Là aussi l’offre est trop importante face à une demande en berne. C’est un concurrent du blé qu’il convient aussi de suivre de près.


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