Fin août. La dernière visite guidée de la saison touche à sa fin. La vingtaine de participants est invitée à goûter à la fleur de sel, joyau des marais salants. Plus exactement, à déguster des fruits et des légumes assaisonnés à la fleur de sel, parfois mélangée à du piment d’Espelette. Les avis sont unanimes ; avec ou sans, le goût n’est pas le même. Avec, la tomate perd son acidité ; le melon est plus fruité. « En fin de saison, quand les melons sont moins sucrés, l’ingrédient fait merveille », assure la paludière, aussi à l’aise devant son public que dans sa saline. Le chocolat noir perd son amertume, son côté astringent. « Avec du gros sel, l’effet n’est pas le même ».
Sur les melons, la fleur de sel fait merveille
Récolte méticuleuse
Plus fine et délicate que le gros sel, elle naît de la cristallisation du sel à la surface de l’eau, sous l’impulsion du vent. « Je la récolte à la fin d’une journée ventée et ensoleillée ». Fragile, elle est plus difficile à récolter et nécessite une attention particulière. La cueillette se déroule à l’aide de la lousse, un outil à long manche qui permet au paludier de récolter le sel depuis le rebord des bassins. Le paludier la fait glisser à la surface avec un geste assuré, car la moindre secousse peut être fatale à la récolte d’un œillet. « La récolte est plus méticuleuse mais aussi plus physique car seules les épaules travaillent ». Le gros sel se forme, lui, sur le fond des œillets. Au contact du sol argileux, il se charge en oligo-éléments, ce qui lui donne une couleur grise caractéristique. Il constitue 90 % des volumes récoltés car c’est un sel plus dense et moins sensible aux aléas météorologiques.



25 tonnes de gros sel en année normale
« En une journée, je peux récolter 40 kg de gros sel par œillet », poursuit l’ancienne paludière de Guérande. « Comme il y a 24 œillets, cela fait près d’une tonne par jour ». En année normale, elle récolte 25 tonnes de gros sel. « En 2023, je n’ai rien récolté ; la météo était trop pluvieuse. Je vends actuellement mes stocks de 2022 ». Une année exceptionnelle au niveau climatique qui lui avait permis d’entasser 35 tonnes, dont 3 tonnes de fleur de sel. « Cette année, j’ai récolté 15 tonnes avant les fortes pluies de la mi-juillet qui ont perturbé la saison. Depuis, les belles journées d’août m’ont permis de relancer la production. Je devrais atteindre mon objectif de 25 tonnes ». La récolte, débutée en juin, peut se prolonger jusqu’à fin septembre, « si les éléments sont de la partie ». Le stock de gros sel se conserve, sous bâche, à l’extérieur. La fleur de sel est à l’abri, en bâtiment. Le prix, dix fois plus élevé, justifie l’attention. « C’est mon salaire », précise Nathalie. Le gros sel paie les charges.
Des animations en été
Le sel est vendu en épiceries fines, en boulangerie, chez des restaurateurs et dans des biscuiteries. « Je ne fais pas de marchés, car bien trop chronophages. Je ne fais pas non plus de vente directe à la saline car le site est protégé et donc peu accessible en voiture ». Elle organise une visite guidée payante de deux heures tous les matins en période estivale, proposée par l’office de tourisme. « La trentaine d’hectares du site appartient au Département qui les met à ma disposition. J’ai, en contrepartie, quelques obligations, notamment cette animation estivale. À Guérande, le contact avec la clientèle me manquait. Je bénéficiais des avantages de l’adhésion à une coopérative mais mon travail se limitait à la production. Ici, indépendante, je vais jusqu’au bout de la démarche ». Parmi les obligations, la paludière doit entretenir la saline, respecter la faune existante, notamment les oiseaux. « Dans le premier grand bassin, le niveau d’eau doit être surveillé pour qu’il ne recouvre jamais les îlots qui abritent les nids au printemps », indique Nathalie qui accueille régulièrement des ornithologistes sur sa saline.
Bernard Laurent
Restaurée dans les années 2000
Dans le Golfe du Morbihan, les salines les plus anciennes apparaissent entre la fin du XIIe et la fin du XIIIe siècle sur le domaine ducal de la presqu’île de Rhuys. C’est au XIVe siècle que l’activité salicole du marais de Lasné, à Saint-Armel, est créée. Elle produit jusqu’aux années 50 et s’endort avec l’apparition des réfrigérateurs, avant d’être recréée dans les années deux-mille avec l’installation d’un premier paludier. Aujourd’hui Nathalie Krone perpétue l’activité. La saline est devenue un lieu de découverte de la nature et de séjour pour de nombreux oiseaux migrateurs.

