C’est autour de cette question de décarbonation que s’est tenue une soirée d’échange organisée par Groupama, le 2 avril à Rennes (35), avec la participation de Shifters (des membres de The Shift Project, un think tank français fondé par Jean-Marc Jancovici), de chercheurs et d’un agriculteur en transition depuis plus de vingt ans. L’objectif de cet échange : parler d’adaptation et de solutions concrètes, sans dogmatisme ni discours culpabilisant.
Une dépendance croissante
D’abord un constat. La France agricole a gagné en productivité, mais aussi en dépendance. Dépendance au pétrole, aux engrais azotés, aux importations de soja. Ce modèle, bâti sur l’abondance d’énergie fossile, montre ses limites. Les coûts explosent, les tensions géopolitiques augmentent et les aléas climatiques fragilisent – et fragiliseront – les récoltes comme l’élevage.
Avoir des objectifs clairs, un cap commun, et du soutien
À cela s’ajoutent des attentes sociétales parfois contradictoires : on veut une alimentation locale et durable, mais à bas prix. Résultat : le monde agricole se retrouve souvent pris entre le marteau et l’enclume.
Vers une autonomie raisonnée
Le Shift Project, groupe de réflexion qui revendique son indépendance, propose une approche par scénarios. Pas de solution unique, mais une idée-force : viser une meilleure autonomie à l’échelle nationale comme des territoires.
L’un de leurs scénarios, dit « de conciliation », cherche à équilibrer trois objectifs : nourrir la population, limiter la dépendance énergétique et réduire les émissions, tout en préservant les ressources (eau, sols, biodiversité).
Pas question ici de bannir l’élevage ou de tout remettre en cause. Il s’agit plutôt de s’appuyer sur des pratiques existantes – autonomie fourragère, diversification, couverts végétaux, haies, adaptation des assolements – pour redonner de la résilience aux exploitations.
Des leviers connus… mais à sécuriser
De nombreuses exploitations bretonnes expérimentent déjà des leviers comme le non-labour, la réduction des intrants ou la méthanisation. Mais ces pratiques demandent du temps, de l’accompagnement et surtout une sécurisation économique.
Comme l’a souligné Jean-Michel Philippe, agriculteur à Plélo (22), « changer de système, c’est accepter une phase de transition de plusieurs années, avec des incertitudes au départ, avant d’en voir les bénéfices ». C’est là que les acteurs comme les Chambres d’agriculture, les coopératives, les assureurs ou les régions peuvent jouer un rôle-clé, en aidant à construire des diagnostics carbone simples, des plans d’action réalistes et des modèles économiques solides.
Une demande claire : être accompagnés
Une grande consultation menée par le Shift Project auprès de près de 8 000 agriculteurs montre une réalité plus nuancée qu’on ne le pense. Oui, une large majorité est inquiète pour l’avenir de ses terres, consciente des enjeux et volontaire pour avancer. Mais à deux conditions : être protégée d’une concurrence internationale jugée déloyale, et être rémunérée pour les services rendus (stockage de carbone, entretien du bocage, etc.).
Il ne s’agit pas de faire plus avec moins, ni d’ajouter des contraintes. Il s’agit d’avoir des objectifs clairs, un cap commun, et du soutien, notamment sur les investissements à long terme.
La Bretagne a de vrais atouts : la polyculture-élevage, les réseaux techniques bien ancrés, l’expérience en matière d’autonomie fourragère. Mais elle est aussi très spécialisée, et donc plus vulnérable aux hausses de charges et aux évolutions de la demande.
L’enjeu est donc d’ouvrir les perspectives : valoriser les initiatives locales, diffuser les pratiques qui marchent, et faire en sorte que chaque agriculteur puisse, s’il le souhaite, ajuster son système à son rythme. La base pour construire une agriculture bas carbone résiliente et prospère à environ 2050…
Didier Le Du
Le levier de la motivation
Opinion – Laurence Ligneau – Chargée de mission climat carbone Chambre d’agriculture de Bretagne
Je pense que le principal levier, c’est la motivation. De la motivation découle beaucoup de choses. La motivation, c’est la capacité à se mettre en mouvement. L’envie d’y aller passe aussi par les émotions. Je pense qu’un grand sapeur de motivation, ce sont les injonctions contradictoires. Si le consommateur, l’économie, la politique ne sont pas alignés ce sera plus difficile d’engager une transition. Enfin, et surtout, il y a la capacité financière des exploitations. Rien ne se fera sans moyens.