Des champs et des portefeuilles à sec en Argentine

La Nina, qui sévit pour la troisième année consécutive en Argentine, a fait des champs de soja un spectacle de désolation. Il s'agirait de la pire sécheresse qu'ait connue le pays depuis le début des relevés officiels, en 1929. Les dernières estimations de récolte en Argentine oscillent entre 22 et 24 Mt, quand les surfaces semées laissaient espérer au moins le double. Certains champs ne seront même pas collectés et seront laissés à paître par un bétail lui-même en piteux état (le prix de la viande a augmenté de près de 20 % en l'espace d'un mois). C’est un coup dur à la fois pour les agriculteurs, mais aussi pour les finances du pays qui sont une fois de plus au bord du gouffre. Voilà plusieurs saisons que les graines de soja ne sortent des fermes qu’au compte-gouttes, quelles que soient les récoltes (bonnes ou mauvaises). L’oléagineux est en effet devenu la seule option pour contrer une inflation galopante, devenant une véritable monnaie d’échange pour payer les charges de l’exploitation agricole. Des exportations essentielles à la croissance du pays La sécheresse actuelle ressemble au coup de grâce. En détruisant les principales exportations de produits agricoles (soja, maïs, blé) essentielles à la croissance, à l'emploi et aux recettes fiscales, elle entraîne le pays vers une nouvelle récession. Face à la contraction des ventes, le pays va devoir réduire un peu plus ses dépenses pour atteindre l'objectif budgétaire fixé par le FMI (voir encadré ci-dessous). C’est un exercice hautement périlleux pour le gouvernement, juste avant les élections d'octobre. Car les problèmes économiques ouvrent la voie à Javier Milei, le candidat outsider d'extrême droite, grand supporter de Donald Trump. Toutes ces incertitudes économiques et politiques ont un impact sur le marché mondial du tourteau, dont les Argentins sont les premiers fournisseurs. La santé de leur trituration est donc déterminante. Or celle-ci est largement en dessous de ses capacités de production depuis 2018. Pour fonctionner, les usines sont devenues dépendantes des graines étrangères (Paraguay et Brésil), l’offre locale étant « gelée » dans les fermes. Cette saison, le pays devrait importer 9 Mt, soit deux fois plus que l’an passé, une situation surréaliste pour le troisième producteur mondial de l’oléagineux. Depuis le 8 avril et jusqu’au 31 mai, le gouvernement permet aux exportateurs de soja de vendre leurs produits à un taux de change « préférentiel » de 300 pesos pour un dollar, au lieu du taux officiel de 211 pesos pour un dollar imposé par le contrôle des changes. De quoi mieux rémunérer les producteurs et les faire sortir du bois. Mais face à l’emballement de l’inflation, l’engouement semble nettement plus faible que lors de la tranche précédente du 28 novembre. Les ventes devraient surtout concerner les graines fraîchement récoltées qui s’avèrent de piètre qualité. Baisse des ventes en direction de l'Union européenne La situation monétaire est si désespérée que tout le monde mise sur une prochaine dévaluation, ce qui limite de fait, les ventes actuelles. Nous sommes donc dans un cercle vicieux qui débouche sur une diminution très nette des exportations de tourteaux argentins. D’octobre 2022 à février 2023, les ventes ont surtout reculé à destination de l’UE (premier débouché) alors qu’elles restent stables vers l’Indonésie et le Vietnam (les deux autres gros clients). Face à cela, la très grosse récolte brésilienne ne pourra pas faire de miracle. La trituration devrait progresser de 3 Mt dans ce pays voisin, mais face à une baisse estimée de 5 Mt de l’activité argentine, le compte n’y est pas. Reste à surveiller la demande, dans un contexte de plus grande disponibilité des tourteaux de colza, mais surtout de recul des cheptels en lien avec les zoonoses (retour de la PPA en Chine et progression de la grippe aviaire un peu partout dans le monde). Éviter l’effondrement du peso Aujourd’hui, la deuxième économie d’Amérique du Sud n’a pratiquement aucun accès aux capitaux internationaux et s’efforce de respecter les conditions d’un programme d’aide de 44 milliards de dollars convenu avec le Fonds monétaire international (FMI). Programme devant permettre au pays de rembourser ce qu’il doit encore au FMI du précédent prêt… La situation semble inextricable. Le gouvernement actuel en est à son troisième ministre de l’Économie depuis juillet. Ce dernier enchaîne des mesures complexes et temporaires pour éviter un effondrement du peso. Mais cela enlève toute visibilité au marché et paralyse les entreprises du pays.

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