L’herbe engourdie par le froid

Au pâturage comme à l’ensilage, les éleveurs constatent un manque de quantité de fourrage dans ce printemps sec marqué par les gelées d’avril. En Bretagne, en ce début de printemps, les prairies tournent au ralenti. « Les températures demeurent basses. L’herbe ne pousse pas. Les feuilles ont été gelées à plusieurs reprises. Dans les sols, ça ne minéralise pas. Même si les vaches sortent, le taux d'urée dans le lait est très faible », résume un éleveur du secteur de Fougères (35). « Mais la saison n'est pas finie, on espère se rattraper par la suite. » La météo a en effet été assez singulière : un mois d’avril ponctué de plusieurs gelées, des nuits fraîches dans l’ensemble, une pluviométrie relativement faible ces deux derniers mois et des vents de nord-est desséchants… Pousse faible et risque de surpâturage Chargée de mission fourrages à la Chambre d’agriculture de Bretagne, Françoise Guillois confirme que l’ambiance froide a pénalisé les prairies. Dans le cadre de l’Observatoire des fourrages, elle rapporte une pousse moyenne d’environ 25 kg de matière sèche / ha / jour sur la période allant du 13 au 19 avril. À comparer à une valeur de 40 kg habituellement à la même époque. « Nous nous sommes penchés sur les résultats de pousse de l’herbe sur les 20 premiers jours d’avril des dix dernières années. La pousse en 2021 est inférieure à la moyenne de 22 % en zone précoce, de 32 % en zone intermédiaire et de 27 % en zone humide. Nous n’avions jamais constaté un tel déficit sur une telle durée. » Dans une année plus « classique », les systèmes les plus herbagers auraient déjà basculé en ration tout herbe. « Sur le terrain, c’est encore juste sauf pour ceux qui disposent d’énormément de surface », précise la spécialiste. Producteur de lait à Plouguenast (22) et ancien président du Cedapa, Patrick Thomas abonde. « J’ai parfois fermé le silo de maïs fin mars. Cette année, j’espère que ce sera fait pour le 1er mai, soit 15 jours plus tard que d’habitude. Mais 2021 n’est pas totalement hors-norme. » Alors qu’il a encore gelé après la mi-avril dans le Centre-Bretagne, sa ration reste actuellement composée de deux tiers de maïs. « Dans les prairies bien exposées, sur terres sableuses, il y a une pousse malgré tout, même si elle est timide. Par contre, c’est très calme sur les terrains au nord ou les sols argileux », confie le Costarmoricain qui offre 50 ares par jour à pâturer à ses vaches, « de quoi avaler 5 ou 6 kg de MS chacune ». Pas très inquiet, pour lui, la priorité est de préparer le moment où la croissance de l’herbe va véritablement décoller. « Pour cela, il faut surtout éviter de surpâturer maintenant pour assurer un bon échelonnement des pousses ensuite. » Pour d’autres l’attente est longue. Ils avaient planifié ou du moins espéré une part de pâturage plus conséquente ce printemps. En manque de stock conservé, certains cherchent actuellement à acheter. « Mais va-t-on trouver du maïs ensilage disponible sur le marché local ? Et à quel prix ? », s’inquiètent-ils. Rendement faible pour les ensilages de couverts Équipée d’une ensileuse, la Cuma du Scorff dans l’ouest du Morbihan ramasse près de 350 ha d’herbe en mars et avril. « Nous avons déjà ensilé les couverts semés après moisson : les rendements ne sont clairement pas là. Et ce sera visiblement encore moins bon pour ceux implantés après les ensilages de maïs que nous récoltons maintenant… », rapporte Loïc Hubert, trésorier du groupe, qui estime une baisse de volume de 20 à 30 % dans les silos par rapport à l’année dernière. La faute à ce mercure au plus bas ces dernières semaines : « Ces gelées matinales d’avril ont tout roussi, les engrais n’ont pas travaillé sans chaleur. » Mais le producteur de lait d’Inguiniel (56) essaie de voir le bon côté des choses. « Avec ce temps sec, nous ensilons dans d’excellentes conditions. Les terrains sont portants, le fourrage est tout de même assez feuillu. La qualité récoltée semble bonne. » Côté pâturage, Loïc Hubert s’est adapté à la situation. « Quand nous avons commencé le déprimage au 15 février, il y avait de l’herbe. Mais depuis un mois, à l’image de notre pelouse, les ray-grass anglais n’ont pas tellement évolué. En attendant, j’ai donné aux vaches les hybrides que je destinais à la fenaison. Nous avons démarré le 2e tour. Même s’il y en a peu, l’herbe a une bonne valeur : il y a du lait dans le tank. »

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