- Illustration Coordonner la régulation
Nombre de Bretons s’inquiètent de freiner les livraisons du lait produit en pleine pousse de l’herbe.

Coordonner la régulation

Malgré l’ambiance laitière dégradée, l’économiste Frédéric Courleux estime qu’il est « trop tôt  » pour freiner la production. Il prône le stockage privé en attendant une régulation publique concertée financée au niveau européen.

Si transformateurs et économistes ont saisi les premiers le risque sur le marché du lait, la crainte a désormais gagné les producteurs. La manœuvre du Cniel enclenchée fin mars pour débloquer 10 M€ afin de réduire la production d’avril a fait l’effet d’une fusée de détresse. Nombre d’observateurs en ont souligné la réactivité. « Une décision si rapide de l’Interprofession, c’est du jamais vu ! », lâche un éleveur, entre enthousiasme et ironie. Mais dans les campagnes, l’interrogation est vive.

« Les vaches viennent de sortir à l’herbe. Comment freiner quand on est lancé à pleine vitesse sur la glace ? », se demande un Breton déboussolé. Un autre s’inquiète : « Le Cniel indemnise à 0,32 € / L ceux qui réduisent la production de 2 à 5 %. Mais pour les premiers 2 %, rien n’est prévu ? » Sans oublier ceux pris dans l’étau du développement : « Nous avons beaucoup investi et devons faire du volume pour écraser les charges de structure. »   
Si la Confédération paysanne du Finistère appelle « tous les éleveurs » à réduire leur livraison pour « sauver la filière du désastre », elle précise que l’enveloppe du Cniel s’annonce largement insuffisante pour désengorger les usines. Et épargner un prix du lait promis à la baisse à « des producteurs dont les finances sont déjà structurellement fragilisées par les crises à répétition ».

Après le pic de printemps, le creux estival

Si Frédéric Courleux, directeur des études d’Agriculture Stratégies, reconnaît « une déstabilisation évidente des marchés et de la peur », il apporte un autre éclairage. « En invoquant l’article 222, le Cniel est parti bille en tête sur le financement de la réduction de production au niveau national. Mais attention, l’Europe doit donner son aval car il s’agit d’un cartel pour limiter les volumes. Rappelons qu’une interprofession nationale n’a pas vocation à gérer des volumes. C’est le rôle des OP… »

L’économiste prend même son monde à contre-pied. « Il est trop tôt pour casser notre potentiel laitier. Dans ces temps de crise sanitaire, l’objectif premier de l’agriculture est d’assurer la sécurité alimentaire. Tout le monde s’excite sur le pic de mai, alors que viendra assez vite le creux estival… Mieux vaut stocker des surplus que de ne pas les produire à court terme. » De quoi se laisser le temps, pour lui, de bâtir pour l’automne une réponse européenne coordonnée d’activation de mesures de régulation publique comme l’aide à la réduction laitière de 2016. « Pour faire face à ces difficultés, de l’argent public doit être mobilisé. Rappelons qu’il existe au sein de la Pac une réserve de crise de 400 M€, créée en 2014 et toujours pas utilisée. Mais aussi que l’Europe vient d’allouer 500 Md € pour soutenir l’économie ébranlée par la pandémie de Covid-19 : l’agriculture doit se positionner pour recevoir sa part… »

Un Opep du lait ?

La NMPF, syndicat des coopératives laitières américaines, évoque un excès d’offre laitière de 10 % par rapport à la demande aux États-Unis. « Acteur le plus puissant de la filière, il vient de demander à l’État fédéral des aides pour financer des mesures de réduction de la production, rapporte Frédéric Courleux. Peut-être que les Européens devraient se rapprocher des Américains pour imaginer une réponse coordonnée sur le marché laitier. Comme les pays producteurs de pétrole de l’Opep qui viennent de décider conjointement de réduire prochainement leur production… »


Un commentaire

  1. Jacques LOYAT

    Je souscris aux propos de Frédéric Courleux.
    Face aux risques du libre-échange, des politiques agricoles sont nécessaires pour le développement de systèmes agricoles durables et résilients. La complexité des systèmes agricoles et les sources d’instabilité sur les marchés agricoles imposent de mettre en place des mécanismes de régulation des marchés.
    Il s’agit de concevoir de nouveaux instruments susceptibles de rendre efficaces le pilotage des marchés de manière à sécuriser économiquement les agriculteurs et à endiguer la capacité de filières agricoles très concentrées à capter la valeur ajoutée du secteur agricole. Il faut réhabiliter les instruments de gestion de l’offre comme les quotas de production, assortis de mesures pour encourager le développement de formes de production durables (environnement, changement climatique…).

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