Marchés agricoles : Garder la tête froide

Les médias et notamment les réseaux sociaux, exercent une action psychologique forte sur les acteurs des marchés agricoles. En assurant à un événement un retentissement excédant la réalité, les réseaux sociaux affectent aussi bien les comportements que les jugements, et introduisent un biais porteur de volatilité. Ce système est plébiscité par les marchés financiers qui sont à la recherche d’une rentabilité aux abonnés absents depuis trop longtemps. Un marché stable étant par nature peu rémunérateur, il convient de lui trouver des « agents perturbateurs ». Il s’agit donc de faire « monter la sauce », quitte à embarquer dans une histoire, des acteurs économiques qui préfèrent avoir tort tous ensemble qu’aller seuls au bout de leurs convictions. Chacun y va de son scénario catastrophe L’exemple du « weather market » (1) nord-américain et de son omniprésence dans les analyses de marché du soja et du maïs depuis plusieurs mois, est significatif. Avec les trombes d’eau qui se sont abattues sur la Corn Belt américaine depuis mars, tous les yeux se sont braqués sur les États-Unis, et chacun y est allé de son scénario catastrophe quant aux surfaces semées et au report possible des maïs sur le soja. Chaque jour amenait son lot d’inquiétudes, savamment relayé par les bulletins de marché et les vidéos d’inondations. Les investisseurs, qui avaient vendu des contrats à découvert(2), se sont rués sur le marché à terme de Chicago pour les racheter, faisant grimper les prix. Avec un peu de recul, on pouvait pourtant s’apercevoir que même dans le pire des scénarios proposés, la situation américaine restait plus lourde que la moyenne quinquennale. Et que c’est bien la météo de cet été et son impact sur les rendements, qui aura le dernier mot. Mais surtout, c’était oublier, que depuis plusieurs mois, ce sont des tombereaux de maïs qui déboulent sur le marché mondial, en provenance de l’Argentine, du Brésil et d’Ukraine… Le 28 juin, l’USDA a mis “KO” les marchés en présentant les résultats d’une enquête menée début juin auprès des farmers américains. Très loin des attentes, elle montre que ceux-ci ont quand même joué le tout pour le tout, et que les surfaces de la céréale fourragère progresseraient de 3 % par rapport à 2018. En effet, se mettre en « prevented planting »(3) représente rarement la meilleure solution agronomique et impacte négativement l’historique des rendements. De plus, les ventes de graines de soja aux Chinois restent bien compromises, ce que les agriculteurs US semblent avoir intégré, en limitant les surfaces d’oléagineux. Les analystes crient à l’arnaque, alors même que les conditions de l’enquête (68 000 répondants) sont identiques aux précédentes. Pour autant, l’USDA reconduira un nouveau sondage dans 14 États cet été, pour confirmer ou infirmer ces estimations le 12 août prochain. Les traders vont donc travailler avec ces chiffres pour l’instant, sachant que la grande incertitude concernera surtout le rendement, plus impactant sur la production finale que les surfaces récoltées. En prenant la surface actuelle de 91,7 M acres de maïs et en faisant varier le rendement de 160 à 180 boisseaux (bu)/acre, nous obtenons une fourchette de production de 340/382 Mt. L’amplitude est grande, mais rappelons-nous que les stocks américains atteindront au moins 56 Mt de tonnes en septembre alors que la moyenne sur 10 ans est de 40 Mt, et surtout que la demande pour le maïs américain en 19/20, risque d’être faiblarde, laissant le report de stock à 47 Mt en première lecture (basée sur le rendement de 166 bu/acre de l’USDA) avec un ratio stocks/consommation de 13,1 % vs 12 % sur 10 ans. Il est donc important de suivre la météo estivale qui sera la clé du bilan américain. Mais il faut aussi comprendre que la croissance progresse de moins en moins vite, les flux aussi, et les stocks s’accumulent chez les exportateurs face à une demande plus atone qu’imaginée. Et comme les projecteurs des analystes restent désespérément tournés vers l’offre plus que vers la consommation, les vendeurs s’en remettent à la météo pour espérer une cure d’amaigrissement des bilans agricoles. Il existe cependant, des sujets moins médiatiques à suivre, et notamment la progression d’un insecte ravageur (voir ci-contre) en Chine, seul pays où la consommation progresse fortement chaque année. Prendre du recul Prendre du recul sans céder aux sirènes de l’instantanéité est donc indispensable face au décalage entre un fait et son traitement médiatique. C’est un peu comme cet engouement pour les Bleues, exacerbé par les chaînes télévisées qui y ont investi beaucoup d’argent… On se croirait presque obligé d’aimer le foot… (1) Marché lié à la météo. (2) Être short signifie que l’on vend des contrats que l’on n’a pas en misant sur un rachat moins cher. (3) Procédure d’empêchement de semer qui déclenche les assurances.

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