Pour Pierre-Henry Gouyon, spécialiste de la génétique, de la botanique et des théories de l’évolution, la disparition d’espèces et l’érosion des écosystèmes ne constituent pas seulement une perte esthétique ou morale ; elles représentent une menace systémique pour la survie de l’humanité.
Le progrès doit intégrer une réflexion écologique
Un des thèmes centraux de sa critique concerne la fabrication du doute. Il dénonce les stratégies, souvent issues de l’industrie, qui visent à semer l’incertitude dans le débat public scientifique. Inspirées des méthodes des cigarettiers face aux preuves de la nocivité du tabac, ces tactiques consistent à entretenir la confusion, à financer des études biaisées, ou à instrumentaliser des experts pour relativiser les risques. « On a fait croire au grand public que le cancer du poumon avait des causes multifactorielles. On utilise la même méthode pour tenter d’expliquer l’effondrement de la biodiversité. Celui des abeilles serait lié au varroa, au frelon asiatique, à des mauvaises pratiques des apiculteurs… Pourtant, qu’y a-t-il de nouveau en Europe depuis trente ans ? L’arrivée en masse des pesticides, notamment enrobés. On en retrouve 5 % dans la plante et 95 % dans le milieu. Les marchands de doute, payés par l’industrie, parviennent à occulter le vrai problème ».
Les semences deviennent des produits brevetés
La Cop 16 de la biodiversité avait pour objectif de faire la paix avec la nature. « La guerre chimique se poursuit. Il y a aujourd’hui 100 millions d’hectares de soja OGM en Amérique latine (tolérance aux herbicides et résistance aux insectes) ». Pierre-Henry Gouyon questionne la notion de progrès, souvent invoquée pour justifier des interventions technologiques massives sur le vivant. Pour le scientifique, le progrès ne peut être défini uniquement par l’innovation technologique ou l’augmentation de la productivité. Il doit intégrer une réflexion éthique et écologique. Derrière l’argument d’efficacité se cache souvent une logique de marchandisation du vivant, dans laquelle les semences deviennent des produits brevetés, contrôlés par quelques firmes mondiales. « Ces firmes invoquent la nécessité de produire plus mais la malnutrition est liée au manque d’argent. Il y a déjà de quoi nourrir la population mondiale ».
Favoriser la consommation de produits biologiques
Face aux incertitudes, « il faut faire preuve de principe de précaution plutôt que de se réfugier dans une croyance aveugle au progrès technique. On peut encore éviter l’effondrement de la biodiversité, qui est plus grave que le changement climatique, mais il faut changer de vitesse ». En favorisant la consommation de produits biologiques, notamment. « Il faudra sans doute de graves maladies sur les humains pour faire changer les choses », conclut-il, un brin fataliste.
Bernard Laurent
Des instances scientifiques manipulées ?
L’IPBES, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (équivalent du Giec pour le climat), ne remplit pas sa mission, selon lui : « Elle a pour premières missions d’assister les gouvernements, de renforcer les moyens des pays émergents sur les questions de biodiversité, sous l’égide de l’Onu. Elle parle d’espèces invasives, de surexploitation des espèces sauvages… mais jamais de types d’agriculture et de pesticides qui sont pourtant à la base des problèmes majeurs ». Ses rapports révèlent néanmoins un taux d’extinction des espèces sans précédent et établissent que la santé des écosystèmes dont dépend l’humanité pour sa survie se dégrade plus vite que jamais.

 
								 
						
																				