Filière laitière française : Bientôt un manque de lait bio

En 2023, une part importante de lait bio était déclassée vers le conventionnel. En 2026, la France devrait en manquer.

Des vaches laitières marchant l'une derrière l'autre - Illustration Filière laitière française : Bientôt un manque de lait bio
Le nombre de troupeaux laitiers en bio a diminué de 15 % en trois ans. | © Paysan Breton - T. Dagorn

En octobre, à Saint-James (50), la Confédération paysanne a consacré un colloque national à la question du lait bio dans la filière laitière française. « Depuis quelques années, le lait bio subit une crise économique doublée d’une crise politique s’exprimant par un abandon de certaines aides et un manque de soutien et de reconnaissance des producteurs », ont lancé en introduction les syndicalistes.

Un niveau de consommation à retrouver

Corentin Puvilland, du service Économie au Cniel, a poursuivi : « En bio, la consommation, c’est là où le bât blesse. En GMS, il y avait une croissance vive jusqu’à un retournement soudain en 2021. » Actuellement, le niveau de consommation de produits laitiers bio est au niveau de 2017. « Mais, après quatre ans de décrochage, les courbes commencent à s’aplanir. » La crème et l’ultra-frais amorcent même un rebond. « On approche de la fin de cette période de déconsommation du bio. »

Ce passage à vide a sans doute été trop relié à l’inflation générale, estime l’agroéconomiste. « Alors que le niveau d’inflation est redescendu, il n’y a pourtant pas de retour de montée en gamme. L’alimentation reste la variable d’ajustement pour les ménages qui évitent de dépenser dans un contexte d’instabilité politique et géopolitique. Le taux d’épargne en France atteint ainsi un niveau historique. Même les catégories aisées ont déconsommé alors qu’elles ont plus de marge en pouvoir d’achat. »

De trop nombreuses déconversions

Pour Corentin Puvilland, la consommation de bio est également liée à la perception du conventionnel par la société. « Sur 2016-2019, on parlait beaucoup pesticides, glyphosate, néonicotinoïdes… Sur 2020-2022, les centres d’intérêt du grand public ont changé avec la crise sanitaire et le soufflé est retombé. » La consommation bio se ferait-elle aussi par réaction ? « En juillet, avec la loi Duplomb, les pesticides sont revenus au centre du débat. En GMS, on a alors constaté la première hausse de volume de produits laitiers bio vendus… » Autre signal positif : le nombre de références en produits laitiers bio se stabilise en grande distribution. « Il y avait eu un écrémage colossal : -40 % de références de fromages bio et -11 % en lait liquide depuis 2021. »

Dans les circuits spécialisés bio, la consommation a repris des couleurs en 2024 et retrouvé son niveau d’avant-crise de 2019 (en GMS, on se situe toujours à -30 %). « Pour autant, la grande distribution qui écoule 55 % du bio, contre 20-25 % pour les circuits spécialisés, reste la locomotive du marché. » La restauration collective, elle, n’a absorbé en valeur que 10 % de bio en 2024 (8 % en 2023), loin des 20 % de la loi Égalim… « Le manque à gagner est évident pour la filière : cet écart représente un potentiel d’absorption de 100 millions de litres de lait bio. »

Hémorragie de producteurs

En juin 2022, la France comptait 4 300 producteurs de lait bio. Un nombre tombé à 3 700 (- 15 %) en juillet 2025, niveau le plus bas depuis 2019. « Et le rythme de cette baisse s’accentue. » Conséquence, la collecte a chuté de 15 % : de 1,3 milliard de litres en 2023 à 1,130 milliard en juillet 2025. « Et ce n’est pas fini. » Une enquête auprès des laiteries parle d’un volume sous la barre d’1,1 milliard de litres à fin 2026. « Avant, nous faisions des projections sur les conversions à venir. Maintenant, nous travaillons sur les cessations attendues », rapporte Corentin Puvilland. Des arrêts d’ateliers avec des références plus importantes sont prévus pour l’année à venir. « Une perte de volume de collecte annoncée et sans doute sous-estimée à cause des déconversions spontanées. » Déconversions qui pourraient représenter 80 % des cessations en bio sur 2025-2026, selon l’observateur. « En plaine, il y a aujourd’hui 78 €/1 000 L de coût de revient entre conventionnel à 490 € et bio à 568 €. » Mais les éleveurs bio ne reçoivent plus que 40 €/1 000 L en plus, contre 100 à 150 € avant crise. Pour ceux qui le touchent, « le crédit d’impôt bio – ‘qui est du net de net’ – estimé à 30 €/1 000 L amortit en partie ».

Tout l’enjeu est donc de « maintenir le potentiel de production » face à une génération de producteurs bio arrivant à la retraite et un conventionnel redevenu attractif.

Toma Dagorn

Moins de 5 % de bio dans la collecte

Opinion – Maud Cloarec – Vice-présidente de Biolait, éleveuse au Haut-Corlay (22)

Nous avons connu jusqu’à 40 % de déclassement de lait bio vers le conventionnel. Aujourd’hui, on se situe à 20 %. L’année prochaine, il n’y aura plus de déclassement et nous manquerons de lait bio… C’est anormal de voir que la proportion de bio dans la collecte laitière française est repassée sous le seuil des 5 % après avoir atteint les 5,5 %. La question du renouvellement des générations en bio est donc aujourd’hui centrale. Une des réponses passe par le prix. Un prix minimal annoncé pour cinq ans serait un cadre plus attractif et sécurisant pour garder les producteurs et accueillir les porteurs de projet.


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